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Revue des marques : numéro 74 - Avril 2011
 

Les médias sociaux en tant que marques imaginaires, paradoxes & enjeux

La montée en puissance des réseaux sociaux s'est accompagnée d'une large littérature dédiée aux enjeux des médias sociaux pour les marques annonceurs dont celui de leur place en tant que marque.

Par Rachida Bouaiss et Nicolas Hébert



Les médias sociaux en tant que marques
Depuis leur naissance, les travaux visant à appréhender les medias sociaux comme marque sont inexistant. Compte tenu de l'enjeu fondamental des medias et réseau sociaux pour la communication des marques annonceurs aujourd'hui, nous avons choisi de mener une étude sur les réseaux sociaux exactement comme on doit le faire pour une marque grand public afin d'appréhender les valeurs et les imaginaires de ces marques. Pour information, cette étude a été réalisée avant le film The Social Network consacré à Facebook et donc avant les événements récents en Tunisie et en Egypte qui ont été qualifiés par certains journalistes comme les "révolutions Facebook". Pour atteindre les objectifs fixés, nous avons conduit une étude (qualitative et quantitative) de type Fond(s) de Marque pour mettre à jour le système de valeur de marques structurant ce marché et comprendre les profondeur la captation de ces valeurs par les principaux acteurs : Facebook, Twitter, Youtube, Myspace. Le choix de ces marques, puisqu'il s'agit bien de marques, est bien sûr un parti pris mais elles nous semblent à elles seules bien représentatives et caractéristiques de l'univers des médias sociaux. Ce sont des marques, car elles en ont tous les attributs, même si les utilisateurs des sites étudiés ne les perçoivent pas toujours commetelles.Maisdupointdevuedel'analyste,ilest clair que l'on retrouve les trois piliers fondamentaux qui caractérisent la marque dans ce qu'elle a de plus profond. La gestion (ou la tentative de gestion) du capital symbolique de l'entreprise ou de l'organisation : volonté d'un imaginaire contrôlé et cohérent; le monopole sur les signes et les éléments propriétaires de la marque. La coagulation des "imaginaires chaotiques" autour du nom propre : dès lors qu'on peut associer de façon récurrente des valeurs à une organisation, à un nom ou à un signe, on est dans de la marque. Et là, nous y sommes !

Nouveaux "mondes"

Très (voire trop) souvent abordé sous l'angle de l'usage seul (nombre de fans, nombre de followers, etc.) la compréhension globale de cet univers complexe des médias sociaux en reste incomplète voire limitée. Cette étude nous a permis de mettre en lumière un certain nombre d'enseignements en termes d'imaginaires et de la quantification de ces derniers, et ainsi d'identifier le caractère paradoxal de la marque réseau. Si une marque est le contrôle d'un imaginaire lié à un contenu et à un nom, qu'en est-il d'un réseau dont le contenu est presque exclusivement alimenté par des utilisateurs ? Et qui de plus les insatisfait ? Quelle est la place des marques annonceurs et quel doit être leur statut au sein de ces réseaux ? Que gagnent-elles véritablement à installer et promouvoir leur image sur les réseaux sociaux ?<br />
Un premier constat s'impose. Sous une apparente facilité, déterminer les imaginaires associés à chaque "marque-réseau" s'est révélée d'une grande complexité qui tient à plusieurs éléments : les paradoxes entre l'usage et la perception des marques ; les imaginaires ambivalents voire paradoxaux ; les enjeux identitaires pour l'usager ; des marques jeunes et émergentes avec un capital symbolique encore fragile.

Un univers traversé de paradoxes

Malgré plus d'un demi-milliard d'utilisateurs dans le monde et 20 millions en France, Facebook pour ne citer que ce seul réseau génère de fortes insatisfactions. Selon l'American Consumer Satisfaction Index, "bien qu'il en ait fait le site web le plus populaire des Etats-Unis, le consommateur n'aime pas Facebook. Facebook se classe aux cotés des compagnies aériennes, des FAI et du fisc américain". Nous observons dans notre étude des choses similaires, à savoir des opinions à l'égard des marques assez mitigées, des niveaux de recommandation et d'attachement faibles. Ce constat va à l'encontre du présupposé d'usage qui veut qu'une utilisation étendue et fréquente génère, enbonnelogique, un fort degré de satisfaction, ou du moins l'association spontanée d'un système positif de valeurs. Nous constatons donc là un découplage de l'image et du comportement, d'autant plus insolite que la vie et le contenu des réseaux sont orchestrés et générés par les utilisateurs eux-mêmes.

Mais ce n'est pas là le seul constat surprenant. Notre étude confirme la dimension chaotique au sens littéral du terme des réseaux sociaux. Cet effet lié à la multiplicité des identités, des usages et à l'hyper-ouverture des réseaux, produit un double trouble : celui des usagers et celui des annonceurs qui ne savent pas toujours comment manœuvrer sur les réseaux. Notre étude identifie et décrypte un certain nombre de paradoxes constitutifs de l'imaginaire associé aux marques réseaux ainsi que de la relation construite de l'internaute à ces marques : attraction / répulsion, plaisir/culpabilité, communication/isolement, maîtrise /perte de contrôle, ne sont que quelques uns des paradoxes mis à jour. Et bien évidemment, on ajoutera le dévoilement de soi et les traces inévitablement laissées sur la toile. Véritable question en devenir de l'identité numérique pour l'usager mais aussi pour les marques...

... Mais une structure d'ordre émerge au sein de ce chaos apparent : l'imaginaire de marque appartenant en propre à chaque réseau. Pour l'individu usager des réseaux sociaux, ces paradoxes se cristallisent autour d'une tension entre plaisir (usages) et répulsion (image). Dualité de l'image de soi incarnée parfois malgré soi auprès des autres à travers les différents contenus publiés sur les réseaux (photos "compromettantes", vidéos "dégradantes", échanges "hostiles" et publics, etc.), l'image de soi pour soi, image parfois difficilement assumable et source de culpabilité (par exemple le plaisir et la jouissance du spectacle de la violence sur certaines vidéos diffusées sur Youtube). Face a ce mécanisme de culpabilisation répulsive et speculaire, prend corps un ensemble de valeurs positives et négatives en jeu pour l'individu "s'exposant" via les réseaux sociaux. Le support de cette cristallisation n'est autre que l'imaginaire de la "marque-réseau" qui fonctionne comme miroir amplificateur des dérives individuelles qu'elle tend par ailleurs à favoriser et à alimenter et auxquelles elle fournit un espace et un cadre d'expression autant que d'expérience. Ceci explique l'insatisfaction déclarée d'un nombre important d'usagers ou d' "abandonnistes" des réseaux sociaux. Mais cela n'occulte pas le système de valeurs positives également consolidé par les imaginaires de marque attribués aux différents réseaux sociaux. Valeurs positives qui, comme leur pendant négatif, renvoient à la promesse existentielle offerte par les réseaux sociaux : la démultiplication des possibilités d'expression du Moi, l'opportunité d'ouverture au monde et aux autres, la possibilité "d'en être" et de "compter". Cette ambivalence qui découple usages et imaginaires mais aussi qui diabolise autant qu'elle plébiscite les réseaux sociaux renvoie directement à la nature même de la "marque réseau". Cette dernière apparaît écartelée entre "la marque fréquentée", construite par les utilisateurs qui en fournissent le contenu et "la marque produite" qui est le fait essentiellement de la structure ergonomique du réseau (par exemple les fonctions "J'aime" sur Facebook ou la fonction "following" sur Twitter). Au cœur des réseaux existe ainsi une dichotomie entre une structure vide (ergonomie) et un contenu potentiellement infini qui détermine un futur imprévisible.

Des marques au capital symbolique encore fragile

En terme de territoire de marques, on voit clairement se définir des zones préemptées par certaines marques assez logiquement au regard de la fonction de support d'expression proposée par les sites. Ainsi, à titre d'exemple : Facebook, marque archétypale des réseaux sociaux si tant est qu'elle puisse encore être considérée comme un réseau social, est une marque très segmentante, bénéficiant d'une forte personnalité (notamment auprès des utilisateurs) et fortement clivée par des défauts et des qualités propres. Elle bénéficie d'attributs très spécifiques marqués positivement et fortement singuliers notamment en termes de lien social et d'attractivité du réseau. En contrepartie, elle montre des défauts associés à ses bénéfices, à savoir le dévoilement de soi, de son image et de sa maitrise. Twitter est une marque dont la notoriété est en forte croissance mais dont l'usage reste dans les faits encore limité en France. De ce fait, son image reste peu construite et donc projetée (notamment auprès des non utilisateurs). Toutefois, pour tous, Twitter est la marque de la spontanéité et de l'instantanéité. Notons que la dimension scoop beaucoup véhiculée à son lancement ressort moins auprès des utilisateurs comme s'il y avait une sorte de banalisation à l'usage. Au final, Twitter reste une marque "en devenir" et présente à date peu d'aspérités hormis celles évoquées précédemment qu'elle préempte assez nettement. Youtube jouit d'une image forte et bien différenciée. C'est à ce titre que le site s'octroie les meilleures notes en termes d'opinion globale et de recommandation. Marque du divertissement et de la découverte, Youtube porte aussi, plus que les autres, les dimensions souvenir et nostalgie, qui sont des valeurs ambivalentes. En ce sens, plutôt considéré comme la "mémoire du web", Youtube s'accapare assez logiquement moins les attributs associés à la dimension sociale. Au regard de ces différentes zones d'expression de ces marques réseaux, on identifie clairement une cartographie du système de valeurs préempté par chaque marque/site. Dès lors, les marques annonceurs doivent avoir la maitrise de cette expression de valeurs et se poser les questions y afférant. Quels risques courent-elles à associer leur image et valeurs de marque à l'image et aux valeurs de marque des réseaux sociaux ? Si le fameux effet de contexte de la publicité est avéré, alors les annonceurs doivent prendre certaines précautions dans les discours qu'ils peuvent ou souhaitent insérer sur ces réseaux, l'enjeu restant de savoir utiliser à son profit les paradoxes des marques réseaux.

Par exemple, on notera que, quoi que souvent jugées "statiques" et nécessitant sans doute des contenus plus impliquants, les pages de fan respectent la liberté de choix de l'individu et peuvent participer à sa valorisation, de même que les fils sur Twitter permettent de se tenir au courant des marques qui nous intéressent vraiment. En revanche, la publicité sur Facebook induit immédiatement l'idée de données monnayées et sont perçues comme une intrusion et une violation de son espace individuel et, a priori, privé. Que dire alors des dernières conditions générales d'utilisation et de la façon de la marque de tester la mise en place et le retrait si besoin de ces dernières. Les données personnelles, manne financière et talon d'Achille de la marque Facebook!

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