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Revue des marques : numéro 71 - Juillet 2010
 

Interférence entre marque et supports de communication

L'introduction, à titre défensif, des supports de communication dans le dépôt de la marque est non seulement contraire à la règle de spécialité de la marque, mais s'avère de surcroît inefficace.

Par Philippe Rodhain, Conseil en propriété industrielle - Membre de la CNCPI (Compagnie Nationale des Conseils en Propriété Industrielle).



Philippe Rodhain
La fonction originelle de la marque est, comme chacun le sait, de garantir au consommateur la provenance commerciale d'un produit ou d'un service. A l'usage, d'autres fonctions sont apparues, comme celle consistant à garantir la qualité du produit ou du service, ou encore celles ayant trait à la communication et à la publicité (1). Le rôle de la marque, instrument de prédilection pour la fidélisation de la clientèle, n'a donc cessé d'évoluer avec le développement de la publicité et des supports de communication. Ces supports de communication, qui se sont multipliés à l'envi (2), sont de nos jours les vecteurs privilégiés pour assurer l'interface entre la marque et le consommateur.
Ainsi, on a pu constater que la prolifération de ces supports de communication avait modifié sensiblement la perception des déposants sur l'étendue de la protection de leurs marques, ceux-ci n'hésitant pas, à des fins de prévention, à inclure ces supports dans leurs dépôts. Cette inclination, contraire à la règle de spécialité du droit des marques, a été curieusement validée par certaines décisions de justice, ayant statué sur le chef de la contrefaçon, en se fondant sur les supports de communication inclus dans le dépôt de la marque jugée contrefaite. Cette interprétation, qui mêle confusément la marque, prise dans son objet, et les moyens promotionnels pour la faire connaître auprès du public, a été remise en cause par la jurisprudence française et communautaire, concernant notamment l'usage illicite des marques sur internet.

L'inanité de la protection des supports de communication à titre préventif

Hormis les professionnels, dont l'activité est liée aux vecteurs de communication, l'introduction, à titre défensif, des supports de communication dans le dépôt de la marque est non seulement contraire à la règle de spécialité de la marque, mais s'avère de surcroît inefficace, éphémère, voire risquée. Inefficace, car aucune protection additionnelle n'est, selon la jurisprudence actuelle, accordée à la marque en cas de contrefaçon sur les seuls vecteurs de communication (3). Ephémère, dans la mesure où tout enregistrement de marque étant soumis à une obligation d'exploitation au terme d'une période de cinq ans, le déposant risque de se heurter in fine à la déchéance de ses droits pour défaut d'exploitation de ces supports, ce qui aboutira irrémédiablement à un rétablissement du périmètre naturel de protection de sa marque. Risquée, en raison des contentieux artificiels que peut engendrer la désignation de tels supports lorsque ceux-ci ne constituent pas l'activité principale du déposant. En effet, nombreux sont les litiges qui portent sur cette seule extension de la marque (dossiers précontentieux, procédures d'opposition, voire actions judiciaires), alors que les parties en conflit ne sont, en réalité, nullement en état de concurrence.

Évolutions jurisprudentielles

Jusqu'alors, une fraction de la jurisprudence, reprise d'ailleurs par la Cour de cassation, retenait le principe, pour apprécier le bien-fondé du grief de contrefaçon, que les supports de communication s'apparentaient à des produits ou services à part entière, nonobstant la nature des produits ou services auxquels ils se rapportaient (4). Cette approche maximaliste est de plus en plus combattue par la jurisprudence française et communautaire, notamment pour ce qui est de l'usage illicite des marques sur internet. En France, lors de l'apparition des conflits entre marques et noms de domaine, la jurisprudence avait, à l'origine, consacré le principe que les noms de domaine relevaient indistinctement des "services de communication par réseaux informatiques" et qu'il appartenait donc aux titulaires de marques de les protéger, en tant que tels, dans leurs dépôts afin de prévenir toute réservation par des tiers de noms de domaine identiques ou semblables à leurs marques. La Cour de cassation mit un terme à ces errements jurisprudentiels, en réaffirmant le principe de spécialité attaché aux marques, selon lequel doit être prise en considération l'activité du site internet lié au nom de domaine, et non pas le nom de domaine en lui-même (5).

Ainsi, la notion d'usage du signe en tant que marque se présente comme la garantie cardinale du respect de la règle de la spécialité, en ce qu'elle permet de déterminer les produits ou services avec lesquels la comparaison doit être effectuée. Dans le même esprit, la Cour de justice de l'Union européenne, dans le cadre de questions préjudicielles, a apporté récemment son propre éclairage sur cet épineux problème à propos de litiges portant sur les liens commerciaux "adwords" de la société Google (6). Ces affaires se référaient à l'utilisation de mots-clés, dans le cadre de services de référencement sur Internet, de signes identiques ou similaires à des marques, sans que leurs propriétaires n'aient donné leur consentement. Les réservataires de ces mots-clés ont été invariablement condamnés au titre de la contrefaçon lorsqu'ils en faisaient usage pour des annonces de produits ou services identiques ou similaires à ceux couverts par les marques jugées contrefaites. S'agissant de la société Google, la Cour a considéré que sa responsabilité ne pouvait être recherchée au titre de la contrefaçon, dans la mesure où elle ne faisait pas personnellement usage de ces mots-clés à titre de marque. Il apparaît donc clairement que la contrefaçon ne peut être poursuivie contre les moteurs de recherches d'internet, du seul chef de fourniture de supports de communication, seule la nature des produits ou services auxquels ces mots-clés renvoient étant susceptible de donner lieu à d'éventuelles condamnations. En conclusion, il s'infère de la jurisprudence actuelle, tant française que communautaire (même si certaines décisions discordantes subsistent) que l'extension de l'étendue de protection d'une marque, à des fins de prévention, par l'ajout des supports de communication nécessaire à sa promotion, est non seulement juridiquement inopérante mais, à terme, illusoire.

Notes

1 - CJCE, 18 juin 2009, aff. C-487/07, L'Oréal SA et al. c/ Bellure NV, point 58.
2 - Des affiches aux conditionnements en passant par les produits dérivés promotionnels jusqu'aux supports publicitaires immatériels (radio, télévision, internet avec l'émergence des réseaux sociaux, téléphonie mobile...).
3 - TGI Paris, 10 mars 1999, PIBD 1999, n°682, III, 366 ; CA Paris, 3 mars 1999, D. Aff. 1999, p. 803 ; TGI Paris, 3 déc. 2004 : PIBD 2005, n°805, III, p.215.
4 - Cass. com, 5 nov. 2002 : PIBD 2003, n°756, III, p.44 , 14 janv. 2003, PIBD 2003, n°760, III, p.156.
5 - Cass. com., 13 déc. 2005, Sté Soficar c/ Sté Le Tourisme moderne compagnie parisienne du tourisme : PIBD 2006, n°824, III, p.149.
6 - CJUE, 23 mars 2010, Aff. 236/8 à 238/8, Google/Louis Vuitton, BDV, Eurochallenges - 25 mars 2010, Aff. 278/08, BergSpechte/Trekking.at Reisen.
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