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Revue des marques : numéro 71 - Juillet 2010
 

Fidélité et maturité

Qui, de l'attractivité de la marque ou de la correspondance des produits proposés à leurs attentes, détermine la fidélité des consommateurs ? Le salut passe par des nouveaux contrats de marque.

Par Thierry Maillet, Historien, maître de conférence à Sciences Po Paris. Auteur de Génération Participation (collection 10/18)



Thierry Maillet
"Je ne dénie absolument pas aux couturiers la liberté de création et d'invention qu'ils peuvent investir dans leurs modèles. Seulement dès que l'on agrandit la mode à sa dimension historique, on ne découvre plus qu'une régularité très profonde 1". Le grand sémiologue français, Roland Barthes, soulignait combien "le vêtement féminin change lentement dans ses proportions fondamentales, contrairement à l'idée reçue d'une mode instable et capricieuse 2". En suivant Roland Barthes il est possible de constater que les plus grandes marques de mode américaines, françaises et italiennes bénéficient finalement d'une relative stabilité de la fidélité de leurs consommateurs. Ce constat incite à poser une question neuve : est-ce que la fidélité aux marques n'est pas liée au relatif degré de stabilité du secteur industriel à laquelle la marque appartient ? La régularité du secteur industriel susciterait la fidélité des consommateurs.
A l'opposé, parmi les secteurs qui connaissent le cycle de renouvellement technologique le plus rapide, cette constance de la fidélité des consommateurs est beaucoup plus difficile à assurer. Entre le secteur paradoxalement le plus conservateur au sens de Roland Barthes et celui qui pourrait être le plus irrégulier, les industries de la grande consommation (agro-alimentaire et hygiène-beauté) connaissent aussi une relative stabilité de la fidélité de leurs consommateurs. Le classement mondial qui vaut référence, Interbrands, place toujours Coca-Cola à la première place en 2009, ce qui était déjà le cas en 2001 3.

La fidélité par l'innovation

Le degré de maturité des secteurs économiques agirait donc sur la fidélité des consommateurs à leurs marques préférées. A l'inverse, le comportement des consommateurs dans les secteurs qui connaissent régulièrement des modifications techniques rapides et brutales est plus erratique. Aujourd'hui portée au firmament, Apple était donnée pour "marque en voie de disparition" au milieu des années 1990. D'ailleurs le cimetière aux éléphants de marques, considérées hier comme particulièrement attractives, est foisonnant dans le secteur informatique, Digital ou Compaq voire IBM pour ses PC. Ce sont autant d'exemples de marques qui étaient alors particulièrement choyées par leurs clients et qui ont pourtant disparues sous le coup de boutoir de l'inadaptation technologique (Digital) ou économique (Compaq et IBM pour les PC). Le phénomène aujourd'hui à l'oeuvre dans le secteur informatique fût connu des spécialistes de l'électroménager. Ceux-ci virent disparaître des marques qui étaient parmi les plus populaires et auxquelles les clients étaient particulièrement attachés dans tous les pays occidentaux. Les téléviseurs Schneider furent un des cinq annonceurs le 1er octobre 1968 lors de la diffusion du premier écran publicitaire en France. La popularité de leurs homologues, Marconi en Angleterre ou Telefunken en Allemagne était aussi élevée. C'étaient des marques dites historiques qui avaient accompagné la forte croissance de l'équipement audiovisuel des foyers. Leur disparition fût-elle liée à une moindre fidélité des consommateurs ou plus prosaïquement à la saturation relative du marché et à leur incapacité à poursuivre leur innovation initiale au profit des marques japonaises ?

Luxe et saturation

Dans ce même numéro (page 49), Yves Krief défend l'idée que les marques de luxe seraient relativement immunisées contre un tel risque d'une perte d'attractivité. Or les données les plus récentes sur le marché japonais semblent indiquer que l'eldorado des produits de luxe, notamment français, "ne serait plus ce qu'il était". Est-ce dû à une baisse d'attractivité des marques, remplacées alors par d'autres marques de luxe, ou plus prosaïquement à une maturité du marché, y compris, cette fois, celui-ci des produits de luxe ? L'hypothèse est que lorsque 80 % des jeunes filles japonaises possèdent un sac Louis Vuitton, elles attacheraient peut-être plus d'importance à son contenu : qu'y mets-je ? Les données les plus récentes à propos de l'iPhone d'Apple plaideraient dans ce sens. Plus d'un japonais sur deux possède un iPhone et Apple a plus que doublé sa présence sur le marché japonais l'année dernière. En 2009, l'iPhone représentait 72 % des ventes de mobiles et déjà 46 % de la base installée de mobiles 4.

L'évolution actuelle du marché du luxe au Japon enseignerait alors que les segments les plus à l'abri d'un sentiment de saturation pourraient néanmoins le rencontrer si leur offre de produits (et non plus d'univers de marque) cesse d'être considérée comme attractive aux yeux du plus grand nombre. L'hypothèse initiale que la fidélité des consommateurs aux marques reste bien liée à la maturité du secteur industriel dans lequel elles évoluent semble se vérifier à nouveau. Dans un pays aussi développé en termes de consommation, tel que le Japon, les produits de luxe, considérés comme les plus résistants à la perception de saturation, peuvent néanmoins être confrontés à une telle perspective si leurs propres produits ne sont plus considérés en phase avec les besoins de la population. Le besoin de communication consécutif au besoin d'appartenance s'exprimerait alors de manière plus aigüe.

Conformément à la prédiction de Roland Barthes, les menaces de désintérêt des consommateurs par rapport à une marque seraient moins liées à la concurrence intra sectorielle qu'à l'attractivité pour de nouveaux produits, c'est-à-dire une concurrence sectorielle. L'enjeu pour les entreprises revient alors à avoir une vision la plus large possible du contrat de marque : l'hôtellerie pour les marques de luxe, la mobilité pour les entreprises automobiles, les spas et les lieux d'accueil pour les marques cosmétiques. Ce sont autant d'exemples d'extension de marques pour assurer à des consommateurs initialement fidèles que les marques sont à même d'accompagner leur propre cheminement de découverte. Pas plus que "l'homo economicus" serait rationnel comme l'ont découvert, mais un peu tard les économistes et financiers de la planète, "l'homo consumerus" ne reste fidèle à des marques qui cessent de lui proposer des produits qui correspondent à ses attentes et ce, quel que fût son degré de fidélité passé. De nouveaux contrats de marques restent bien à imaginer pour continuer à fidéliser des consommateurs en dehors de marchés initiaux en voie de saturation accélérée.

Notes

1 - Roland Barthes, "France Forum, 5 juin 1967, propos recueillis par Cécile Delanghe" in Le bleu est à la mode cette année, Paris, Editions de l'IFM, 2001, p.165.
2 - Olivier Burgelin, "Barthes et le vêtement" in Le bleu est à la mode cette année, Paris, Editions de l'IFM, 2001, p.205-207.
3 - www.interbrands.com
4 - www.linformaticien.com, 26 avril 2010.
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