Retrouvez la vie des marques sur www.ilec.asso.fr
Accueil » Revue des Marques » Sommaire » La revue des Marques numéro 70
Top
Revue des marques : numéro 70 - Avril 2010
 

Nouveau paradigme L'humilité

Loin d'être réductible au seul prix, l'accessibilité est une posture de marque qui doit se traduire sur tous les éléments du mix.

Entretien avec Nicolas Riou, fondateur de Brain Value*
Propos recueillis par Jean Watin-Augouard



Nicolas Riou
Nicolas Riou

La relative désaffection des consommateurs pour les marques serait-elle en partie fondée sur une moindre accessibilité de certaines d'entre-elles ?

Nicolas Riou : Les marques ont souvent pêché par arrogance.
D'abord, au début des années 2000, avec le développement de méga-marques globales. Prenons l'exemple de la grande consommation où les grands industriels, comme Procter & Gamble ou Unilever ont décidé de réduire le nombre de marques de leur portefeuille et de se concentrer sur les marques d'un chiffre d'affaires supérieur à unmilliard de dollars. En sacrifiant les marques locales sur l'autel de la globalisation, ces entreprises ont cédé à une approche trop simplificatrice. Dans un second temps, ces grandes marques se sont concentrées, à raison, sur l'innovation. L'objectif était d'augmenter la valeur pour le consommateur et la différenciation par rapport aux marques de distributeurs. Mais ces innovations les ont fait monter en prix, augmentant l'écart avec les marques distributeurs. Et ces hausses de prix n'étaient pas toujours justifiées par une réelle différence de performance. La crise a remis les pendules à l'heure. En restreignant le pouvoir d'achat de nombreux foyers, elle a rendu les consommateurs beaucoup plus vigilants sur les prix. Ils ont découvert que nombre de marques ne méritaient pas qu'on les surpaie.

La désaffection actuelle est avant tout une désaffection vis-àvis de l'hypermarketing, activisme visant à lancer toujours plus vite de nouvelles formules, censées être toujours plus performantes. Les consommateurs n'y croient plus. Ou, en tout cas, ne sont plus prêts à payer plus cher pour en profiter. Prenons l'exemple du marché du parfum dans lequel, chaque année, sont lancés environ quatre cent cinquante nouveaux parfums : on brouille la perception des consommateurs qui passent en moyenne sept minutes dans un magasin comme Sephora. Perdus, ces derniers se retournent vers les produits qu'ils connaissent depuis longtemps, les valeurs sûres.

Les consommateurs sont-ils plus exigeants, plus impatients ?

N.R. : Ils sont devenus plus exigeants au sens où ils ne sont plus prêts à acheter n'importe quoi, à n'importe quel prix. Ils sont toujours prêts à payer le prix pour des produits qui le justifient : des produits plaisir, comme le fromage où l'écart en termes de qualité avec les marques distributeurs est facilement perceptible. Ou des produits générant de nouveaux bénéfices, de nouvelles possibilités comme l'iPhone. Le désir est toujours là. Le magasin de vêtement Sandro connaît une croissance à deux chiffres alors que son panier moyen est de cent quarante euros. Il faut seulement que les produits prouvent que leur prix est justifié.

Qu'est-ce qu'être, aujourd'hui, accessible, pour un emarque (prix, proximité, diversité des lieux de vente...) ?

N.R. : Il ne faut surtout pas réduire la question de l'accessibilité au prix. L'accessibilité est une posture de marque qui doit se traduire sur tous les éléments du mix. C'est une proximité culturelle avec les consommateurs. A ce titre, les grandes marques reviennent souvent à des campagnes de publicité locales, après le crédo du tout global. Pour profiter au mieux de cette proximité, certains groupes, comme Procter & Gamble, ressuscitent des marques très ancrées dans le patrimoine culturel et historique, comme Bonux.

En restreignant le pouvoir d'achat de nombreux foyers, la crise a rendu les consommateurs beaucoup plus vigilants sur les prix. Ils ont découvert que nombre de marques ne méritaient pas qu'on les surpaie.

Des nouveaux champs en termes d'accessibilité se sont-ils ouverts, des nouveaux besoins révélés ?

N.R. :Il faut considérer l'accessibilité comme une posturementale. L'époque est à des marques simples, faisant preuve d'humilité, comme Nivea. Nombre de marques font la démarche de se situer "du côté des gens". C'est, par exemple, Mc Donald's et sa campagne "Venez comme vous êtes", vrai témoignage d'accessibilité. Elle témoigne de valeurs de liberté, d'absence de jugement sur les gens, de tolérance et d'accueil. C'est aussi Le Parisien qui a changé de signature avec "Il est utile au quotidien". Ou encore de Monoprix : "Qu'a fait Monoprix pour vous aujourd'hui ?" Les marques cherchent à se réinstaller dans le quotidien des gens après les années d'arrogance. La publicité se met au diapason. Microsoft lance Windows7 sur le thème "C'est moi qui l'ait fait", EDF met en scène ses employés ou ses clients.

La notion d'accessibilité a-t-elle changé avec les nouvelles technologies de l'information, le web 2.0, en particulier ?

Nicolas Riou
N.R. : Bien sûr. Les nouvelles technologies ont changé le statut du consommateur. D'individus passifs, à qui on répétait des messages (répétition is persuasion) fondés sur une idée de vente, ils sont devenus des consommateurs actifs qui s'approprient les messages, conversent sur les marques et peuvent décider de lancer un buzz négatif si unmessage ne leur convient pas. Le web 2.0 permet aux consommateurs de dialoguer avec les marques, voire de devenir acteurs de celles-ci. Celles qui choisissent de monter un réseau social optent pour la voie du multi-dialogue. Comme Procter & Gamble qui, ciblant les adolescentes pour ses marques d'hygiène féminine, a créé www.beinggirl.fr, un site portail hébergé sur la plateforme des skyblogs. Où Dell qui, faisant face à des critiques, crée un blog où l'on peut poser des questions à la marque en direct.

Dans quelle mesure le téléphone mobile peut-il rendre la marque plus accessible ?

N.R. : Le téléphone mobile va permettre aux marques de s'inscrire dans le quotidien des gens et même dans leur sphère intime. Par la géolocalisation, il permettra aux consommateurs de connaître les points de vente les plus proches d'une marque. Ou il leur permettra, en téléchargeant une vidéo, comme on peut déjà le faire au Japon, d'en savoir plus depuis le lieu de vente sur la composition d'un produit. Autant de façons d'humaniser les produits, et donc de les rendre accessibles.

Par le "contenu de marque" (brand content), la marque peut-elle être plus accessible ?

N.R. : En développant du "brand content" la marque ne devient pas forcément plus accessible. Tout dépend de quel contenu de marque il s'agit. Quand ce contenu est co-créé par les consommateurs, il renforce bien sûr l'accessibilité. Les consommateurs s'approprient plus facilement ce qu'ils ont fait ou ce que leurs pairs ont fait. Quand Doritos, leader du snacking salé aux Etats-Unis, organise un concours ouvert à tous, où l'enjeu est d'imaginer sa prochaine publicité, la marque se met au niveau des gens et fait preuve d'accessibilité. En diffusant le soir du super-bowl un film, conçu par deux chômeurs du Wisconsin, et leur offrant un million de dollars, elle est proche d'eux. A la verticalité des rapports entre les marques et leurs consommateurs, succède l'horizontalité.

Quelle(s) accessibilité(s) nouvelle(s), la marque donne-t-elle aux consommateurs quand elle utilise des stars, dans ses publicités ?

N.R. : Le rôle des stars ou des égéries n'est pas de créer de l'accessibilité pour la marque. Au contraire, elles construisent un imaginaire de marque, elles font rêver. Elles associent un monde à la marque où les consommateurs aiment à se projeter. Et elles captent l'attention, ce qui honore déjà leur contrat sur une partie importante de la communication.

Les marques cherchent à se réinstaller dans le quotidien des gens après les années d'arrogance. La publicité se met au diapason.
Marketing Anatomy

Les consommateurs semblent, aujourd'hui, moins accessibles à lamarque ! Les traditionnelles classifications du marketing de masse ne rendent plus compte de leurs diversités. Que faire pour avoir "accès" aux nouvelles "cibles" et répondre à leurs insights ?

N.R. : Le consommateur est devenu plus opaque pour les marques, plus complexe à décoder. C'est ce que j'appelle le consommateur paradoxal, un consommateur qui conjugue des aspirations contradictoires : être surpris par de la nouveauté mais rassuré par ce qu'il connaît, de la qualité mais des prix bas, de la santé mais du plaisir, de l'impulsion, mais de la responsabilité...Pas facile pour le marketing d'y voir clair sur les attentes des consommateurs. Les vieux outils de segmentation et de connaissance des consommateurs sont usés. La méthode des consumers insights est beaucoup plus pertinente pour accéder à de la justesse consommateur. Identifier du vécu, des croyances sur un produit ou un marché et savoir sélectionner dans une foule d'insights ceux qui sont les plus susceptibles de servir de socle à une stratégie de marque ou de communication peut se révéler extrêmement bénéfique. Mais la chasse aux insights ne se fait pas depuis son bureau. Il faut aller observer les consommateurs chez eux ou sur le point de vente pour se faire une idée juste de leurs attentes. La recherche d'insights revalorise les techniques d'étude de type "ethnomarketing".

* Fondateur de Brain Value (cabinet d'études et de planning stratégique), responsable du cours magistral de marketing à Sciences Po Paris.
Le Code de la propriété intellectuelle n'autorisant, d'une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l'usage privée du copiste et non destinées à une utilisation collective, et d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayant cause est illicite. Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle
Bot