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Revue des marques : numéro 69 - Janvier 2010
 

Les marques sont-elles l'avenir de la distribution ?

Lors du World Retail Congress 2008, le prix du distributeur de l'année a été remis au patron retail… d'Apple. Les fabricants seraient-ils donc les meilleurs distributeurs du monde ? L'intégration aval des marques avides d'exprimer leur univers et d'être en lien direct avec les clients préfigure-t-elle le commerce de demain ?

Propos recueillis par Cédric DUCROCQ*.



Les marques sont-elles l'avenir de la distribution ?
La question peut sembler décalée au moment où la crise des marques et du "marque-ting" devient criante. Après quinze ans de premiumisation, de starisation de la marque aux dépens du produit, et dans certains cas, de véritable myopie marketing, les années récentes ont vu le modèle toucher ses limites - et ce avant même la crise qui a exacerbé ces tensions. L'Observatoire des Modes d'Achat Dia-Mart/Côté Clients montre bien que, si la sensibilité aux marques reste forte, la fidélité est, en revanche, souvent limitée. Beaucoup de marques ont progressivement abandonné leur positionnement "coeur demarché" pour devenirdes marques chères, dont les prix ne se justifient que par une valeur ajoutée différenciatrice (fonctionnelle ou émotionnelle) fortement perçue par les clients. Certaines y parviennent admirablement : ainsi Gillette a su porter les prix de vente des lames de rasoir à des niveaux incroyables, grâce à une valeur ajoutée que les utilisateurs reconnaissent volontiers. Pour autant, la tendance est clairement à des écarts de prix moins forts surtout dans les marchés exposés aux MDD: la stratégie de repositionnement prix de Danone ou dans une moindre mesure de L'Oréal en témoigne. Période difficile donc pour les marques et leur tendance naturelle à une certaine arrogance. Et pourtant, on voit dans le même temps s'affirmer des modèles admirables de marques verticalement intégrées : comment ne pas être ébranlé par les succès de Nespresso, d'Apple voire de Nike ou des marques de lingerie dans leurs stratégies d'intégration du commerce ? Bien plus qu'une simple captation de marge, ces modèles visent à apporter jusqu'au client un "univers" complet, où la marque n'est pas un catalogue de produits, mais un offreur de solutions produits services et d'expériences in situ. Ces "marques-univers" sont très peu nombreuses, mais sont sans doute les modèles les plus aboutis et les plus admirables en termes de marketing.

Pilotage des filières par l'aval : une autre forme d'intégration verticale

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Source Dia-Mart
Quelles sont les trois enseignes de distribution que vous admirez le plus, tous secteurs et tous pays confondus ? Pour avoir posé cette question dans de nombreux séminaires et comités de direction, les plus citées sont Zara, Ikéa, H&M, Décathlon, Picard et quelques autres. Il est frappant de constater qu'il s'agit "d'enseignes-filières", c'est à- dire d'enseignes qui, bien au-delà des traditionnelles MDD, prennent à leur charge le décodage des tendances de consommation, la conception des gammes et des produits, et plus généralement le pilotage de la filière depuis l'aval, parfois en remontant jusqu'aux producteurs de matière première. A tel point qu'on ne sait plus très bien comment les appeler : Zara, est-ce plutôt une marque qui a intégré l'aval, ou plutôt une enseigne qui conçoit ses produits ? Et H&M

Ces enseignes-filières restent rares, et pour l'essentiel limitées aux marchés de style (mode, meuble, décoration…) même si Aldi, Décathlon ou Picard prouvent qu'elles peuvent s'imposer dans tous les secteurs. C'est un modèle difficile à maîtriser, mais aussi d'une formidable puissance commerciale et économique en cas de succès. Et c'est, en termes marketing, un exemple à méditer de capacité à nourrir l'enseigne d'un contenu immatériel riche, pour fonder la préférence des clients sur une confiance et une cote d'amour exceptionnelles. Ces enseignes filières sont une menace évidente pour les marques et lesdistributeurs multimarques et un encouragement supplémentaire pour les fabricants à intégrer l'aval. Mais elles sont aussi la preuve que la "verticalisation" marche : in fine, il s'agit peut-être de la meilleure façon de rapprocher l'offre et la demande.

Les fabricants font-ils de bons commerçants ?

Qu'elles soient ou non inspirées par les succès d'Apple ou de Nike, les marques sont nombreuses à rêver de court-circuiter les distributeurs pour capturer la relation clients et la valeur ajoutée. Internet rend cette ambition plus réaliste.On a ainsi vu se multiplier les flagships sur les belles avenues du monde, les sites marchands de marques, voire des tentatives de vrais réseaux propres… avec des succès mitigés. A quelques brillantes exceptions près, les fabricants qui tentent de devenir distributeurs peinent à gagner de l'argent dans ce nouveau métier qui se cantonne finalement à une coûteuse vitrine de la marque. Pourquoi ces (demi)-échecs ?

Les difficultés à surmonter pour un fabricant qui veut devenir commerçant sont les suivantes, du plus évident au plus sous-estimé :
1 – Gérer les conflits d'intérêt avec les enseignes multimarques. Qui peut croire que l'ouverture des Apple Store en France ne va pas dégrader les relations avec la Fnac, principal revendeur d'Apple en France ? Où que Go Sport se réjouit de la stratégie de maîtrise duretail deNike ? Sans aller jusque là, la coordination des politiques commerciales entre réseaux en propre et réseaux multimarques est une migraine permanente, par exemple pour les opérateurs téléphoniques.

2 – Gérer les divergences internes entre deux logiques stratégiques et organisationnelles différentes. Par exemple, les fabricants de peinture qui exploitent de nombreux négoces vendant à des peintres professionnels (Tollens, Sikkens, etc.) doivent concilierune logique de fabricant (le magasin ne propose que mes marques, et une offre centrée sur la peinture) et une logique de commerçant (le magasin propose une solution globale peinture-décoration, et enrichit son offre par des marques spécialisées sur les segments où mes marques ne sont pas les meilleures du marché).

3 – Intégrer de nouveaux savoir-faire. Etre commerçant, c'est un vrai métier. Certains basiques sont largement étrangers aux fabricants : choix de l'emplacement, construction des gammes à partir d'une logique aval et non amont, management de vendeurs sédentaires, méthodes de vente BtoC, etc. L'idée communément admise selon laquelle lec ommerce serait un métier moins technique, moins intensif en intelligence que l'industrie, a conduit de nombreuses marques à sous-estimer cet aspect.

4 – Intégrer, au-delà des compétences, une culture retail. Pour ouvrir un flagship sur les Champs-Élysées, pas besoin de "devenir distributeur". Pour développer un réseau propre et y réaliser une part importante de ses ventes totales, l'enjeu culturel est crucial. Or un commerçant ne "pense" pas comme un industriel. Les métiers génèrent des cadres de référence profondément différents. La quasi-totalité des fabricants n'ont pas conscience de ce grand écart, ou estiment leur culture si forte qu'elle s'appliquera avec bonheur à leur activité retail.

Exemples de différences culturelles classiques :
• un "marque-teur" qui veut faire évoluer son image jouera en priorité sur le "marketing de signes" (communication, design), alors qu'en retail l'image se construit avant tout via l'expérience vécue en magasin, via un "marketing de preuves".
• le marché d'une marque est national (ou plus) et se définit en termes de cible (critères socio-économiques, de centres d'intérêts, de styles de vie,etc.). Dans le retail, le marché est la somme des zones de chalandise des magasins (donc multilocal plus que national), ce qui rend périlleux une segmentation trop fine des cibles.
• un fabricant pense en général que la force d'une marque sert à justifier des prix plus élevés (l'expression "prime de marque" est révélatrice de ce réflexe), alors que pour un distributeur la force de son enseigne permet de recruter plus de clients : l'un raisonne en valeur et rêve de premiumisation, l'autre raisonne en volumes et rêve de pénétration.

Il ne s'agit pas ici d'affirmer que les fabricants ne peuvent pas réussir en tant que commerçants. Au-delà même des "marques-univers", d'autres marques parviendront sans doute à se développer en BtoC, en magasin ou via Internet. Mais ce choix doit être pris en pleine connaissance de cause, et sans sous-estimer les défis considérables qu'il faudra relever. C'est sur la base d'une compréhension profonde de ces challenges que le fabricant pourra choisir sa stratégie…et son organisation. Faut-il donner de l'autonomie au métier retail, puisqu'il est si différent ? Ou au contraire intégrer les deux métiers puisque tout l'objet de la verticalisation est d'éviter les déperditions liées aux cloisonnements de la filière ? Une question délicate…

Notes

(*) Dia-Mart, société de conseil spécialiste de la distribution.
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