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Revue des marques : numéro 67 - Juillet 2009
 

De la réparation-compensation à la réparation-dissuasion

Plus d'un an après la loi de lutte contre la contrefaçon, il paraît utile de développer les modes d'évaluation et de réparation des actes de contrefaçon mis en place par ce nouvel arsenal juridique.

Propos recueillis par Jean-Christophe GRALL ET Emmanuelle LAUR-POUËDRAS(*).




De la réparation-compensation à la réparation-dissuasion    De la réparation-compensation à la réparation-dissuasion
Nous avons déjà eu l'occasion d'évoquer la loi n°2007-1544 du 29 octobre 2007 dite « loi de lutte contre la contrefaçon », qui est venue notamment transposer la directive n°2004/48/CE du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle. La directive du 29 avril 2004 transposée en droit français prévoyait un mode spécifique d'évaluation des dommages et intérêts.Un dispositif d'amélioration de la réparation du préjudice a ainsi été instauré en France et passe par une évaluation à la fois plus complète et relativement facilitée du préjudice subi par la victime de la contrefaçon. Ainsi, l'article L. 716-14 du Code de la propriété intellectuelle précise à son alinéa 1 : « Pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération les conséquences économiques négatives, dont le manque à gagner, subies par la partie lésée, les bénéfices réalisés par le contrefacteur et le préjudice moral causé au titulaire des droits du fait de l'atteinte. (…) » S'agissant des conséquences économiques négatives, le texte de l'article L.716-14 vise à cet égard le gain manqué du fait même de ces actes. Cela correspond concrètement aux produits non vendus par la victime du fait qu'ils l'ont été par le contrefacteur.

Bénéfices du contrefacteur pris en compte

Un tel chiffrage se révèle beaucoup moins simple qu'il n'y paraît,dans lamesure où il n'est pas du tout certain – et tout particulièrement lorsque l'on est en présence de contrefaçons de produits de luxe – que la victime de la contrefaçon aurait vendu autant de produits que le contrefacteur. Les conséquences économiques négatives incluent également les pertes subies, c'est-à-dire les marchés perdus, l'échec de la conclusion d'un contrat de licence, etc. Le préjudice moral dont il peut, en outre, être tenu compte correspond à l'atteinte à la valeur de lamarque du fait de la contrefaçon, au discrédit qui résulte pour elle. Enfin, à côté de ces préjudices classiques, la prise en compte des bénéfices réalisés par le contrefacteur est une nouveauté et a clairement pour objectif de décourager le contrefacteur, puisqu'il peut être condamné à réparer plus qu'il ne le devrait.

En effet, le principe traditionnel en droit français de réparation du préjudice veut que l'on répare « tout le préjudice mais rien que le préjudice ». Or les bénéfices réalisés par le contrefacteur ne correspondent pas directement au préjudice subi par la victime des actes de contrefaçon. Néanmoins, dans beaucoup de cas, il est plus intéressant pour le contrefacteur de prendre le risque de se livrer à des actes de contrefaçon pour lesquels il sera, dans le pire des cas (à tout le moins avant la loi du 29 octobre 2007), condamné à verser des dommages et intérêts d'un montant modeste, sans commune mesure avec les bénéfices engrangés grâce à la vente des produits contrefaisants.
C'est pour tenir compte de ce calcul cynique des contrefacteurs que la directive de 2004 puis la loi française du 29 octobre 2007 ont mis en place cemode de calcul de l'indemnisation de la victime des actes de contrefaçon par référence également aux bénéfices réalisés par le contrefacteur. On bascule alors de la réparation-compensation à la réparation-dissuasion.

Pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération les conséquences économiques négatives, dont le manque à gagner, subies par la partie lésée, les bénéfices réalisés par le contrefacteur et le préjudice moral.

Quelle évaluation ?

Cependant, en quoi consiste véritablement cette prise en considération des bénéfices réalisés par le contrefacteur ? S'agit-il de purement et simplement reverser à la victime des actes de contrefaçon lesdits bénéfices, ce qui reviendrait à consacrer une notion de dommages et intérêts punitifs, ou d'augmenter le montant de l'indemnisation au regard de l'ampleur des bénéfices de la contrefaçon, sans pour autant établir de réelle corrélation ? La pratique des tribunaux et cours d'appel nous renseignera peu à peu sur l'orientation prise par les juridictions françaises. Par ailleurs, et s'agissant toujours de ces bénéfices réalisés par le contrefacteur, se pose la question de savoir s'il convient de prendre en considération les bénéfices bruts ou nets réalisés par le contrefacteur.
Les bénéfices nets correspondent à l'enrichissement réel du contrefacteur, néanmoins retenir une telle notion est sans doute plus favorable au contrefacteur et sera probablement écartée par les juges au profit de la notion de bénéfices bruts. En outre, quel que soit le mode de calcul retenu pour indemniser la victime des actes de contrefaçon au titre de l'alinéa 1 de l'article L.716-14 duCode de la propriété intellectuelle, il demeure nécessaire, afin de procéder à une juste indemnisation du préjudice, de se fonder sur des chiffres (gains manqués, pertes subies, bénéfices réalisés par le contrefacteur). Or ces éléments chiffrés font très souvent défaut.
C'est pourquoi la loi a prévu une alternative à l'alinéa 2 de l'article L.716-14, soit une évaluation forfaitaire du préjudice subi :« (…) Toutefois, la juridiction peut, à titre d'alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire qui ne peut être inférieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si le contrefacteur avait demandé l'autorisation d'utiliser le droit auquel il a porté atteinte.» Ce système de forfait vient en aide à la victime des actes de contrefaçon qui n'a pas ou peu de preuves de l'étendue de la contrefaçon, ou dont la marque n'a pas été encore exploitée, ce qui était auparavant de nature à réduire sensiblement le préjudice.

Une récente décision de cassation montre une volonté de se placer sur le terrain de la prévention. Cela sera peut-être renforcé par l'allocation de dommages et intérêts véritablement dissuasifs.

Indemnité plancher ou plafond

Néanmoins, ce second mode d'évaluation ne résout pas toutes les difficultés. En effet,on peut penser que le calcul de ce montant forfaitaire sera aisé dans la mesure où la victime des actes de contrefaçon connaît les tarifs des redevances qu'elle applique à ses licenciés. Or il est tout à fait possible que la victime de la contrefaçon n'ait pas de licenciés et ne soit dès lors pas en mesure d'estimer le montant des redevances qu'elle aurait obtenu si le contrefacteur avait sollicité l'autorisation d'utiliser lamarque qu'il a contrefaite.
Par ailleurs, si la loi prévoit que l'indemnisation forfaitaire de la victime des actes de contrefaçon ne saurait être inférieure aumontant des redevances qu'elle aurait pupercevoir, aucun plafond n'est fixé. Néanmoins, le rapporteur de la loi de lutte contre la contrefaçon au Sénat a exclu un doublement de la redevance indemnitaire. Les juges se situeront donc entre une indemnité plancher, équivalant au montant des redevances que la victime aurait pu percevoir par le biais d'une licence, et une indemnité plafond, équivalant au doublement du premier montant, et ce, en tenant compte de l'attitude du contrefacteur, de l'ampleur de ses actes de contrefaçon et des bénéfices réalisés par lui.
A ce jour, il n'est pas du tout certain, bien que les juges disposent d'un dispositif qui les autorise à aller au-delà de la simple réparation-compensation, qu'ils allouent des dommages et intérêts conséquents et, dès lors, dissuasifs notamment parce qu'ils seraient véritablement fonction des bénéfices engrangés par le contrefacteur. On constate que, s'il est encore trop tôt pour savoir dans quelle mesure la pratique française d'indemnisation des actes de contrefaçon sera modifiée par l'adoption de la loi du 29 octobre 2007, les juges continuent d'être souples et conciliants en matière de démonstration de l'existence d'un préjudice.
Dans le cadre d'un litige fondé sur l'existence tant d'actes de contrefaçon de marque que d'actes de concurrence déloyale, la Cour de cassation a ainsi récemment repris un raisonnement connu, à savoir que le préjudice se déduit de la faute. Dans une affaire récente, une société française avait commandé à une société chinoise des sacs avec des décors que les autorités douanières ont considérés comme une imitation des marques appartenant à la société Louis Vuitton Malletier. Une action a alors été diligentée surun double fondement : contrefaçon demarque et concurrence déloyale, et, s'agissant plus particulièrement de ce second fondement, se posait la questionde l'existence d'un préjudice pour la société Louis Vuitton Malletier, dans lamesure où les produits considérés comme contrefaisants avaient été retenus en douane ; ils n'avaient dès lors pas été commercialisés et ne pouvaient donc servir de fondement à l'indemnisation d'actes de concurrence déloyale.
La Cour de cassation a estimé néanmoins que dans la mesure où « les sacs litigieux avaient été commandés en vue de leur revente », il en « résultait une faute constitutive de concurrence déloyale à l'égard de la société Louis Vuitton Malletier ». Une telle décision montre une volonté de se placer sur le terrain de la prévention. Cela sera peut-être renforcé par l'allocation de dommages et intérêts véritablement dissuasifs par les tribunaux et cours français dans les mois à venir.

Notes

(*) MG Avocats - Grall & Associés
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