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Revue des marques : numéro 66 - Avril 2009
 

Nouveaux discours de marque pour la cosmétique

Dans l'univers de la beauté peut-être plus qu'ailleurs, lesmarques ont toujours aimé raconter des histoires. De nouveaux types de discours sont imaginables, comme l'illustrent les initiatives toujours plus créatives du petitmonde des cosmétiques. La preuve par dix.

Propos recueillis par Nicolas CHOMETTE*.



Nouveaux discours de marque pour la cosmétique
Les marques de beauté aiment raconter des histoires. La leur toutd'abord.Celle de leur fondateur,de leur origine et de leur savoir-faire. Celle de leurs ingrédients aussi. Pour faire la preuve de leur noblesse, de leur naturalité ou de leur éthique.Et lorsque leurs origines sont plus industrielles,elles n'hésitent pas à réécrire leur histoire, à s'inventerdes légendes, de nobles valeurs, des dates historiques et des héros fondateurs. Mais il y a d'autres discours.

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Alors que les lancements haut de gamme se multiplient (parfums sur mesure, séries limitées, ingrédients rares...) pour retrouver de l'aura et de l'attrait, quelques propositions fleurissent plus modestes dans leurs intentions mais non moins annonciatrices de nouvelles promesses. Ainsi, Keep Lucky (en exclusivité chezMarionnaud) se présente comme une eau de toilette porte-bonheur composée de “rose et de santal, reconnus dans la mythologie pour leurs pouvoirs protecteurs, et de musc censé apporter amour, bonheur et argent”. Ou encore les premiers parfums à base de fleurs de Bach : Vivacité “pour transformer ses ressources en énergies positives” et Présence(s), “pour se sentir en accord avec soi comme avec son entourage”. Voilà qui contre dit l'idée qu'un parfum doit se contenter de sentir bonet de se présenter dans un beau flacon. Au moment où les produits alimentaires, tous secteurs confondus, tentent de nous signifier leurs effets sur notre bien-être ou notre mental, pourquoi les parfums ne pourraient-ils pas jouer la même partition ? Et, pour certains, aller jusqu'à des promesses irrationnelles de bonheur et de chance ?

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Il y a un an est apparue la cosmétique à base de pierres précieuses.Crèmes au diamant, ou au rubis et au jaspe rouge pour la gamme Gemology, disponible dans les parfumeries Douglas, tout d'abord.Crèmes de soin à base de tourmaline, de citrine, de saphir et de malachite, ensuite, pour une ligne imaginée par le joaillier italien Bulgari. Après les imaginaires du végétal et des fonds marins (que l'on pense au succès de la Crème de la Mer), porteurs de fraîcheur et de régénérescence, place à l'imaginaire du minéral, du rare et du précieux. La nature peut se décliner à l'infini sans perdre de sa richesse d'évocation, mais les pierres précieuses vont plus loin: ne sont-elles pas l'apanage des rois et des reines ? Et chacune n'est-elle pas porteuse de pouvoirs singuliers ? Ces offres préfigurent sans doute une des voies à explorer pour imaginer la cosmétique de demain: une offre à la fois naturelle et très haut de gamme, proche des élixirs des alchimistes, associée à des promesses quasi divines de rayonnement intérieur,qui s'inscrira dans le prolongement des produits “cosm'éthiques”actuels.

Nouveaux discours de marque pour la cosmétique    Nouveaux discours de marque pour la cosmétique

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Le styliste américain Zac Posen vient d'annoncer le lancement d'un parfum révolutionnaire censé se décliner selon les parties du corps et les moments de la journée. Une fragrance caméléon qui annonce une nouvelle façon d'aborder le “parfumage”, il fallait bien que cela arrive un jour. L'univers du parfumne pouvait s'en tenir éternellement à de simples promesses olfactives, fussent-elles porteuses d'imaginaires puissants. Faute de suffisamment se différencier, les marques de parfums vont progressivement s'engager sur le chemin ouvert par les marques de grande consommation : celui du “moment- circonstance”.Un peu comme Coca-Cola, passé en quelques années de “enjoy” à “always”. Un parfum capable de s'adapter aux différents moments de la journée et de produire des effets spécifiques, ce sont les prémices du parfum fonctionnel qui émergent. Nouveaux discours en perspective.

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Pour le moment installée à NewYork, Le Labo n'est pas une parfumerie comme les autres. D'abord parce que chaque jus qui y est proposé (il y en a dix au total) porte le nom de son ingrédient principal, accompagné d'un chiffre correspondant au nombre total d'ingrédients qui ont été nécessaires à sa composition. Au moment où les grandes marques de parfums s'évertuent, sans toujours y parvenir, à imaginer de nouveaux noms pour leur composition, voilà qui ouvre des perspectives. Non, la composition n'est pas condamnée à être reléguée en petits caractères dans un coin de l'emballage. Oui, elle peut être valorisée et devenir un vecteur émotionnel. Autre point de différence : fort du constat que le parfum vieillit mal, surtout en pleine lumière, Le Labo se propose de le composer au dernier moment. Une laborantine (et non une vendeuse, nuance...) met en alcool sous les yeux de l'acheteur les concentrés de parfum rangés au froid. Assister à l'élaboration de son propre parfum, voilà de quoi transformer un banal achat en expérience unique.Ultime snobisme, l'étiquette de chaque flacon (inspirée de l'univers de la pharmacie) porte le nom de son propriétaire, ainsi que la datede fabrication de son jus. Difficile de faire mieux question personnalisation et fraîcheur. Le Labo porte bien son nom: en réinventant les règles de la parfumerie, il s'affirme comme un laboratoire du futur.

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On connaissait la cosméto gourmande (nourrir la peau avec une crème ou un yaourt onctueux), la cosméto ludique (prendre soin de soi sans se prendre au sérieux), la cosméto médicale (les beauty doctors, leurs blouses blanches et leurs potions magiques), voici la cosméto technologique. Premier arrivé sur ce nouveau créneau (ou crédo ?), il y a deux ans déjà : Clarins avec Expertise 3, un vaporisateur qui fait écran aux ondes électromagnétiques. Il suffisait d'y penser. On se savait menacé par la pollution et toutes sortes de dérégulations climatiques,on avait sous-estimé le pouvoir maléfique des ondes. A en croire la recherche de Clarins, il y a un lien entre l'accélération du vieillissement de la peau et “l'exposition aux ondes électromagnétiques artificielles produites par les équipements nécessaires à la transmission des sons et des images”.Quelques heures d'exposition par jour suffiraient à provoquer une modification notable de la fonction barrière naturelle de notre peau. Fichtre.Voilà de quoi inquiéter ceux qui s'imaginaient tout-puissants au royaume du tout-technologique. Certains ne manqueront pas de louer ici l'intelligence mercatique de la maison Clarins et sa capacité à s'emparer de la toujours très efficace idéologie de l'invisible menaçant ; d'autres noteront la progression de l'idée de la responsabilité individuelle. Si notre peau et notre planète sont menacées, n'est-ce pas d'abord à cause de nos comportements et de notre soif d'avoir toujours plus ? Après la marque coupable, voici poindre la marque culpabilisante.

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Disponible chez Séphora pour la coquette somme de 160 euros, Indult (d'“indult”, faveur accordée par le pape…) est une gamme de trois parfums, chacun édité à 999 exemplaires, surdosé en extraits naturels et présenté dansun écrin en bois de palissandre. Chaque flacon est accompagné d'une carte numérotée au nom du client, conçue pour lui permettre de se réapprovisionner par téléphone ou par Internet.Volontairement élitiste, ce type d'offre illustre la manière dont les fabricants de parfums tentent de redonner à leurs produits la part de rêve et d'exception que la banalisation des points de vente leur a ôtée. Trois principes. Tout d'abord, limiter le nombre de produits mis sur le marché, histoire de susciter l'envie de posséder en suggérant le risque de ne pas posséder. Ensuite, communiquer la valeur ajoutée du produit : non seulement la quantité d'ingrédients utilisés,mais leur qualité, leur origine, voire la manière dont ils ont été cueillis ou sélectionnés. Enfin, last but not least, instaurer un sentiment d'appartenance à une élite, matérialisé ici parune carte façon VIP destinée à faciliter le réapprovisionnement.Cet exemple nous rappelle qu'il n'est nul besoin d'être une marque connue de son marché pour se sentir autorisée à y lancer un produit. Un nombien choisi, porteur de sens et d'imaginaire suffit.

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Outre une gamme de produits cosmétiques “gourmands” réalisée en partenariat avec Séphora pour les fêtes de fin d'année 2008, La durée a annoncé récemment le lancement d'une ligne permanente de six produits cosmétiques à son nom.Des soins pour le corps et le visage vendus entre 18 et 69 euros (au Bon Marché) dont les bouchons seront, habile clin d'oeil, en forme de macaron...Après une première sortie hors de son territoire, en proposant des bougies parfumées et des parfums d'intérieur, La durée a donc décidé de poursuivre l'expérience et d'aborder une nouvelle étape de son développement. Si d'aucuns pensent que les marques doivent avoir une légitimité pour aborder un nouveau marché, voilà de quoi les convaincre du contraire. Ici, hormis l'amande (reconnue pour sa douceur comme pour son pouvoir hydratant), aucun point commun apparent entre les univers de la pâtisserie et des cosmétiques. Aucun, si ce n'est la volonté de la marque de dire quelque chose de nouveau sur elle-même et d'accroître ainsi ses occasions de contact avec le public. Aucun, si ce n'est une même image de qualité et de confiance incarnée par les mêmes codes graphiques vert et or.Voilà d'où vient la légitimité d'une marque : de sa volonté et de sa capacité à décliner ses codes.De l'importance pour elle d'avoir une vision et des codes forts…

Un parfum capable de s'adapter aux différents moments de la journée et de produire des effets spécifiques, ce sont les prémices du parfum fonctionnel qui émergent. Nouveaux discours en perspective.

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Pour le quinzième anniversaire de son parfum Angel, la société Thierry Mugler a conclu un accord avec Remy Martin. Sonobjet : mettre à macérer son célèbre jus dans des barriques en merisier habituellement destinées au cognac. Vingt-trois semaines plus tard en est résultée une création olfactive originale, vendue à deux cents exemplaires dans une étoile richement parée de cristaux Swarovski. Osé et inattendu, ce rapprochement est pourtant moins incongru qu'il n'y paraît. D'abord parce que parfum et cognac sont tous deux des jus et tous deux inscrits dans les registres du rare et de l'exceptionnel. Ensuite parce que dans le vocabulaire du cognac l'expression “ part des anges” désigne le volume d'alcool qui s'évapore dans les fûts lors de la macération.Quoi de plus légitime pour le parfum Angel de s'installer là où les anges passent ? Enfin, parce qu'en osant confronter son jus à l'air, au bois et au temps, Thierry Mugler transgresse les codes de la parfumerie, comme il l'a fait en lançant le premier parfum gourmand aux notes de chocolat. Susciter des rencontres entre univers a priori très éloignés est devenu le carburant du marketing, c'est entendu. Cette démarche peut consister pour une marque à mettre un créateur au service du conditionnement d'un produit afin de réenchanter le quotidien de ses consommateurs. Ne peut-elle pas aussi s'exprimer par le rapprochement de deux savoir-faire, en vue d'un produit totalement original ? Une véritable expérience de marques en quelque sorte : imaginée et tentée par elles.

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Proposée par la marque grecque de produits cosmétiques Korres, Kings&Queens est une ligne de produits pour le bain et le corps destinée à un public jeune dont la caractéristique est de raconter des histoires de princes et de princesses. Chaqu produit contient un ingrédient choisi pour avoir été le préféréd'un souverain: le miel cher à Néfertiti, le tabac du tsar Pierre, le cèdre du roi Salomon…Ici, la marque ne tente pas de tout expliquer et tout justifier en nous livrant de belles histoires, elle laisse ses consommateurs construire leur propre imaginaire en se contentant de leur suggérer quelques pistes narratives inattendues, entre le mythique (des origines) et le magique (des effets).L'important n'est pas qu'ils adhèrent aux histoires que leur raconte la marque, mais qu'ils acceptent l'idée qu'elle-même y adhère.

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Vendu en exclusivité chez Sephora, Home Skin Lab du Docteur Pastorek est un programme haut de gamme de vingt huit jours comprenant des soins spécifiques et des compléments alimentaires qui agissent pour optimiser le renouvellement cellulaire de la peau. Son originalité est de proposer, pour chaque ensemble de soins, un DVD de e-coaching permettant d'obtenir chaque semaine des informations scientifiques et des conseils personnalisés en nutrition et en hygiène de vie, pendant toute la durée du programme. Home Skin Lab n'est pas seulement un exemple de produit “cosméceutique”, segment qui se développe à grande vitesse aux Etats-Unis, il représente un nouveau type de relation entre les marques et leurs consommateurs.Une relation personnalisée tout d'abord, puisque les conseils prodigués le sont selon le profil et le mode de vie de chacun. Une relation accompagnée ensuite, puisque ces conseils sont envoyés chaque semaine aux clients durant la durée de leur traitement. Une relation qui va au-delà du strict métier de la marque, enfin, puisque sont abordées les questions d'hygiènede vie, et celles du sport et de la nutrition. Personnalisée, accompagnée et attentive au mode de vie des acheteurs, la relation nouée ici ne décrit-elle pas l'idéal relationnel de toute marque ?

Au moment où les discours sur les origines, les ingrédients et les savoir-faire prolifèrent comme antidotes à l'industrialisation et à la dématérialisation de la société, les marques de cosmétiques explorent de nouveaux territoires où les promesses psychologiques reposent avant tout sur la capacité d'auto conviction des acheteurs. Parfums à effets, parfums qui soignent, parfums qui réconfortent, parfums qui modifient les états, voire parfums qui portent chance.Et pourquoi pas parfums de bonheur ? Pourquoi les marques ne seraient-elles pas un mensonge auquel nous voudrions,et même nous aimerions croire ? Une compensation nécessaire dans le climat actuel…

Notes

(1) Managing director d'Interbrand Paris
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