La stratégie qui consiste à dépenser moins est fondée sur le contrôle des impulsions et la raréfactiondes achats imprévus. Davantage que la moyenne des Français, les praticiens de la restriction se montrent dubitatifs quant au bénéfice apporté par les marques connues, y compris dans le domaine de l'alimentaire. Les produits d'entretien, l'habillement et l'alimentation courante sont les principaux secteurs à propos desquels ils déclarent opter systématiquement pour le prix le plus bas. Assez naturellement, ils sont également plus nombreux à faire régulièrement leurs courses chez les maxi discompteurs.
Chez les populations les plus enpointe du changement social, une autre stratégie prévaut qui implique une réorganisation des priorités de consommation, dans un même secteur ou d'un secteur à l'autre. Parce qu'elle est fondée sur la subjectivité individuelle, cette stratégie produit des résultats parfois contrastés et favorise les combinaisons originales : compagnie d'aviation à bas coûts et hôtel cinq étoiles, accessoires de luxe et produits alimentaires à marque de distributeurs… La dimension distinctive des combinaisons choisies n'est pas indifférente : les adeptes de cette stratégie d'arbitrage sont sur représentés parmi les consommateurs qui disent aimer dénicher d'autres choses que celles qu'on voit partout,ou user de canaux alternatifs (bons plans, troc, achat d'occasion, notamment sur Internet).
Au niveau macro-économique, il apparaît que certains secteurs souffrent plus que d'autres, les plus souvent désinvestis étant ceux des produits d'entretien, de l'alimentation courante, de l'habillement et de l'ameublement. La valeur relative accordée à chaque achat est déterminante dans les choix de consommation. Les marques se doivent de présenter un bénéfice clair à des consommateurs rendus plus circonspects. Une consommation raisonnée, donc, mais pas toujours raisonnable : les secteurs favorisés peuvent encore susciter des achats sous l'effet d'un coup de coeur.
Il ne surprendra personne que la stratégie qui consiste à épargner par précaution touche davantage les populations les plus aisées. Logique patrimoniale ou assurance sur l'avenir, l'épargne n'est qu'une facette d'un rapport à la continuité qui se retrouve dans d'autres domaines : les épargnants sont plus nombreux à déclarer ne pas avoir changé leur façon de consommer au cours des deux dernières années, aspirer à une vie quotidienne d'un confort régulier, ou acheter de préférence toujours les mêmes marques de produits. Un souci de continuité qui se traduit jusquedans les secteurs privilégiés, pour lesquels ilsdisent choisir systématiquement la meilleure qualité possible : l'habillement, l'électroménager, la voiture, l'équipement informatique, l'ameublement. Mais également l'alimentation courante ou les produitsd'hygièneoude soin, davantage boudés par les populations pratiquant arbitrages et restrictions.
La quatrième stratégie semblera plus inattendue. Elle correspond au maintien des aspirations à la consommation, voire à leur renforcement en période de sinistrose.On s'endoute, cette stratégie suppose des moyens. Parce qu'elle répond à leur quête de jouissance immédiate, elle est très bien représentée chez les populations qui conjuguent modernité et fort pouvoir d'achat. Consommer, certes, mais pas n'importe comment. Alors qu'ils sont relativement épargnés par les tensions financières qui pèsent sur d'autres segments de population, les Français qui consomment de plus belle sont nombreux parmi ceux qui déclarent connaître les bons circuits de consommation,ou acheter et revendre entre particuliers. La recherche des meilleures affaires relève davantage ici d'un nouveau “savoir-consommer” que d'un souci de bonne gestion : les achats sont souvent imprévus, même quand ils sont coûteux. Certains secteurs sont privilégiés, comme l'alimentation, l'habillement et les accessoires de mode, l'équipement informatique, audio ou en téléphonie mobile.
La crise économique et les stratégies mises en place par les Français pour y faire face ont révélé la fragilité de certains positionnements de marques, notamment celles du milieu de gamme. Les tensions économiques qui fragilisent les marques pourraient susciter chez certains la tentation frileuse d'un repli sur les acquis du passé, d'un retour aux fondamentaux. Pourtant, si les marques sont chahutées par un contexte de transformation sociologique, dont nos données montrent l'inscription dans la longue durée, est-il bien raisonnable de miser sur ce qui a été vecteur de succès par le passé ? Toute crise révèle la fragilité des espèces.Comme Darwin nous invite à le penser, la question est bien celle de l'adaptation des organismes vivants à des situations de mutation radicale. En tant qu'organisme vivant, lamarque est mise à l'épreuve quant à sa capacité de survie et d'adaptation.
Les conflits entre créationnistes et darwinistes ont enflammé les esprits américains. A l'heure où certaines marques réinterrogent leur identité, la question est-elle bien l'identité historique – l'ADN – d'une marque,ou plutôt samise en résonance avec les vibrations de la société ? Ne s'agirait-il pas plutôt de travailler à faire évoluer une marque, de telle sorte qu'elle épouse les lignes de force du changement social ?
Sans doute faut-il admettre l'éventualité de la mort d'une marque.Toute belle histoire a une fin. La rupture majeure que nous traversons nous invite à repenser ce qui construit la légitimité d'une marque dans le futur. Pour cela, il s'agit de faire amitié avec le changement, de le comprendre, de l'anticiper et des'ennourrir.Car 2008 marque bien la coexistence d'une crise et d'une mutation profonde des modèles hérités du XXe siècle. Rien ne sera plus comme avant. Même pour les marques.
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