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Revue des marques : numéro 66 - Avril 2009
 

La beauté, une idée profondément culturelle

À l'heure d'Internet, on entend souvent parler d'une vision globale de la beauté. Mais dans une période charnière, de remise en question des règles capitalistes, de redéfinition du rapport des forces entre nations, la question de la beauté est plus que jamais liée aux cultures locales.

Propos recueillis par Nathalie TERNISIEN*.



La beauté, La beauté, profondément culturelle
Lorsqu'on interroge des femmes de tous pays sur leur représentation de la beauté, on obtient quelques grands fondamentaux, mais surtout de grandes différences sur les usages, les pratiques, les mots clés associés, les égéries que l'on projette… Nous avons mené cette investigation(1) auprès de Chinoises, Russes, Américaines et Françaises, en posant quelques questions simples sur leur vision de la beauté féminine. Les réponses sont passionnantes et nous révèlent beaucoup de la culture, de la société, des rêves des femmes… À chacun de ces pays, une beauté propre.

Un peu d'étymologie…

L'étymologie des termes “maquillage”, “se maquiller” met au jour quelques clés sur la manière dont les femmes perçoivent la beauté. Le terme “to make up” signifie des choses bien différentes - voire opposées - du terme “maquiller”, et encore différentes de “huà zhuāng ”…
“Maquiller” possède en français plusieurs significations, dont la première est la dissimulation, comme le montre l'emploi du terme pour un crime ou une voiture volée. On comprend alors la valorisation d'une beauté naturelle, ni artificielle ni exagérée, et le rejet d'une sophistication excessive qui dénaturerait la vérité d'une personne. On comprend aussi le dilemme permanent des Françaises, qui veulent être maquillées sans le paraître, être élégantes sans passer pour trop sophistiquées… Avec le verbe “to make up”, qui signifie “révéler”, on entr'aperçoit une vision plus optimiste de la beauté, qui cherche toujours à montrer le meilleur de soi-même, sous le meilleur jour. La beauté n'est pas dès lors affaire de discrétion ou de naturel pour les Américaines, mais la révélation de leurs qualités, même s'il leur faut se métamorphoser pour la faire advenir. Le chinois “huà zhuāng ” se rapproche de la notion de déguisement, de parure, pour entrer en scène, référence au maquillage du théâtre traditionnel. On comprend mieux pourquoi pour les Chinoises, à l'instar des Françaises, le rapport au naturel est aussi présent dans les représentations de la beauté. A trop se maquiller, avec excès, on serait déguisée…
Le mot “краситься ” (krasitsya), enr usse, évoque plus le dessin et la peinture, des notions fortement valorisées. Le maquillage doit être travaillé, soigné, élaboré, faire l'objet de recherche et de raffinement, dans les moindres détails, avec de l'audace dans les couleurs…

En Chine, la référence aux “quatre beautés” manifeste l'importance que les femmes portent à l'esprit, à la connaissance et à l'intelligence dans l'évaluation de la beauté.
La beauté, La beauté, profondément culturelle La beauté, La beauté, profondément culturelle
Quatre beautés chinoises
La beauté, La beauté, profondément culturelle
Maggie Cheung

À chaque pays ses égéries

Même si Angelina Jolie est régulièrement citée dans trois pays sur quatre comme l'incarnation de la beauté féminine, les portraits féminins mentionnés par les répondants portent avant tout les traits d'une beauté locale. Pourquoi Angelina Jolie ? Si le mythe hollywoodien redevient une valeur sûre en période de crise(2), Angelina Jolie est citée comme emblème de beauté féminine pour sa valeur plastique mais aussi et surtout morale. Ce point est crucial dans une société mondiale enquêtede sens et de repères, de conscience(3). Une célébrité suscite le désir de projection si et seulement si son physique et sa personnalité morale sont en concordance. Citée dans tous les pays, et de manière récurrente, Angelina Jolie dépasse souvent la question purement plastique. Pour les Nord-Américaines, elle est surtout engagée, humaine, généreuse et pleine de santé. Même si, bien entendu, nulle ne cache sa fascination pour la perfection de son corps, elle est symbole de beauté pour sa force psychologique. Même les Françaises s'approprient le modèle d'Angelina Jolie, mais pour des raisons différentes, éminemment liées à la culture française. On lui attribue du charme, de l'élégance et de l'intelligence, critères essentiels pour définir la beauté d'une femme. Pour les Russes, elle est perçue comme bien soignée, élégante, déterminée, mais surtout “à la mode”, ce critère, déterminant, faisant d'Angelina Jolie une femme qui incarne la modernité de notre époque. Et plus localement, quelles sont les femmes qui incarnent au mieux la beauté féminine ? Au-delà de quelques rares noms cités dans tous les pays, les critères de beauté et leurs emblèmes sont souvent nationaux. Pour les Nord-Américaines, on retrouve en majeur la blondeur hollywoodienne, les yeux clairs, le nez fin et les chevelures ultra-raides, comme Courtney Cox, Reese Withespoon, Heidi Klum… Mais on observe aussi, de manière unique, des références récurrentes à des beautés plus typées, comme Vanessa Williams, Hale Berry, reflets d'une société profondément cosmopolite, en mutation démographique. Chez les Russes, on observe un goût immodéré pour le baroque, les cheveux colorés, dégradés, les maquillages accentués, les breloques et accessoires brillants et customisés des chanteuses pop moscovites comme Kristina Orbakaite, ou des stars de la pop dont Madonna est l'ambassadrice par excellence. Ce constat révèle un besoin de visibilité avant toute chose.
Pour les Françaises, on retrouve les chevelures faussement décoiffées, un tantinet sauvages, de brunettes voluptueuses aux yeux sombres, comme Monica Bellucci ou Sophie Marceau, avec toujours la pointe de mystère typique de la French touch. On retrouve également un fort besoin de naturel, de simplicité, d'authenticité, incarné par des femmes comme Marion Cotillard ou Audrey Tautou.
Chez les Chinoises, les références sont des femmes au corps de brindille et à la peau parfaitement blanche, chevelure longue et yeux en amande, à la jeunesse troublante.Celles qui l'incarnent sont Zhang Ziyi ou Maggie Cheung, mais au-delà de ces personnalités contemporaines, les Chinoises sont les seules à citer des références mythiques, historiques, comme les “quatre beautés” de la Chine antique. Ce point met au jour le besoin de s'accrocher à la culture, à la nation, dans une période où les repères s'effondrent. La référence aux “quatre beautés” souligne toute l'importance de l'esprit, de la connaissance, de l'intelligence féminine dans l'évaluation de la beauté. Dans un monde en recomposition, les modèles féminins eux-mêmes évoluent. Ils ne sont plus uniquement des supports de projection plastiques. On souhaite trouver en eux une résonance sur le plan de la personnalité, des valeurs, de l'engagement, du parcours de vie… Le choix des égéries et leur mise en scène sont donc des questions sensibles pour les marques.
Marion Cotillard Madonna

Marion Cotillard - Madonna
Kristina Orbakaite
Kristina Orbakaite

Zhang Ziyi
Zhang Ziyi

Notions clés derrière la beauté

Notre étude a mis en lumière des facteurs décisifs de la beauté féminine : la pudeur en Chine, l'éclat de mille feux en Russie, le naturel en France, la confiance en soi aux Etats-Unis. Selon les Russes, le soin minutieux de l'apparence est fondamental : il faut être “impeccable” des pieds à la tête, bien soignée avec une chevelure coiffée, travaillée, des ongles faits, des talons haut perchés, un aspect singulier, unique. Plus qu'ailleurs la beauté féminine passe par sa visibilité, une beauté explosive, reflet d'une libération non moins explosive et d'un rejet de l'uniformisation imposée par la norme sociale communiste.Une belle femme est donc “brillante” au sens premier du terme, la mode est son alliée, et elle doit avoir un style. Aux antipodes de la beauté sont l'absence de goût de la paysanne, un aspect “gris”, la “transparence” ou la fadeur. Rien n'est pire que lemanque de visibilité ou l'uniformité.
Pour les Françaises, la beauté est intimement liée à “l'élégance naturelle”, “l'allure”, autant de choses qui se perçoivent à la démarche et au regard, à la personnalité dans son authenticité, à un indéfinissable charme. Cette notion d'élégance est fondamentale en France, où tout est question de maîtrise des paradoxes, d'un art de l'assemblage entre le chic et le décontracté. L'élégance est un critère de beauté, et elle doit être maniée avec subtilité, pour donner le sentiment du “nonartificiel”. Enfin, pour les Françaises, l'obsession de la minceur a resurgi de manière beaucoup plus vive que dans les autres pays, elles sont nombreuses à vivre la minceur comme un critère d'intégration ou d'exclusion.
Pour les Chinoises, le terme “magnifique” ajalonné les réponses au questionnaire. Être magnifique, c'est avoir une âme tellement belle qu'elle rejaillit sur l'extérieur, une pureté spirituelle qui se voit aussi à la perfection de la peau, proche de celle du jade. Plus qu'ailleurs, la beauté est parfaite et estimable, en Chine, lorsqu'elle s'exprime dans la “dignité”, c'est-à-dire avec pudeur. On observe un rejet des postures d'abandon ou trop suggestives. La beauté, dans sa représentation idéale, est déliée de la sexualité. Même si le visage est omniprésent dans l'évaluation de la beauté, le corps doit aussi être parfait, aussi délicat qu'une brindille. Seule une minorité de Chinoises osent prononcer le mot “sexy”, et elles sont timides à avouer leur goût pour les formes occidentales.
Aux États-Unis, la beauté est liée à la force de caractère : avoir confiance en soi est le premier critère de beauté des Américaines, le terme “self confident” ayant jalonné les questionnaires. Cette notion de “confiance” reflète une société qui valorise la réussite, et qui invite à porter les attributs de la féminité, harmonieux ou pas, sans honte ni fard. Etre soi-même et l'assumer, le faire reconnaître par l'entourage, est une condition sine qua non de la beauté: une belle femme est rayonnante, radieuse, énergique, confiante.On parle d'attitude positive pour définir la beauté, les critères plastiques du visage et du corps étant souvent passés sous silence. Enfin, la générosité et l'ouverture aux autres sont indispensables, une femme étant vraiment belle si son attention portée aux autres est sincère. Ce qui rassemble ces femmes, au-delà des spécificités culturelles, c'est le lien intime entre beauté et bonté. La violence de la crise, vécue comme un cataclysme aux États-Unis et par effet de dominos en Europe, nous rappelle que, selon les femmes, la beauté doit être habitée de valeurs morales et d'intelligence. Le beau, le bien, le bon ne font qu'un.

Notes

(*) Directrice de clientèle, Resarch International
(1) Étude menée sous la direction de Nathalie Ternisien et de Nadège de Poulpiquet. Remerciements à Irina Tshelnakova pour son regard sur la société russe. Quatre questions ont été posées : les trois mots pour définir une belle femme ? les trois accessoires indispensables pour être belle ? la femme qui incarne la beauté ? les trois mots qui expriment le contraire de la beauté ?
(2)Cosmétique Mag, mars 2009.
(3) Carnet de tendances Idea Architects, département innovation de Research International, La consommation en conscience ou la recherche de sens.
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