Comment définir la prospective ? Comment a-t-elle évolué ?
Comment la prospective s'inscrit-elle dans le processus de création et d'innovation d'une marque, d'un produit ?
N.R. : Notre méthode de travail, le “marketing-style”(marque déposée), est fondée sur trois pôles. L'intuition est bien sûr préservée dans le pôle création, qui réunit pendant deux mois des créatifs et stylistes pour proposer de nouvelles visions de l'avenir. La synthèse des travaux est présentée chaque saison dans un cahier pilote. S'ajoute le pôle marketing, veille des signes avant-coureurs du changement, assurée par vingt-trois agents prospecteurs, dans le monde entier, des tendances qui émergent sur leur propre marché. Le pôle marketing étudie également les attentes des consommateurs. Hier, seul le créatif était en contact avec l'entreprise ; aujourd'hui, nous travaillons en binôme, créatif- marketing. Cela conduit à être plus attentif à la cible de clientèle, au type de marché, au prix, à l'outil industriel. Le troisième pôle, sociologique, analyse, sur le plan qualitatif, l'évolution du comportement des consommateurs. Une de nos dernières études porte sur le comportement d'achat de l'homme. Nous proposons onze cahiers de tendances par saison, soit vingt-deux par an.
Les entreprises placent-elles l'innovation au coeur de leur stratégie ?
N. R. : Il y a encore une dizaine d'années, l'innovation était considérée comme secondaire. Mais les mentalités changent, comme l'atteste l'enjeu, récent, du management de l'innovation dans l'entreprise, qui doit partir du président jusqu'à la distribution, en passant par la production et les créatifs. Le luxe a bien pris en compte cet impératif. L'avenir des entreprises françaises passe par l'innovation, notre valeur ajoutée, car ce n'est ni par le prix, ni par la production qu'elles peuvent se singulariser sur les marchés internationaux.
Comment naissent les tendances ? Quels sont les événements déclencheurs ? Comment décrypter les signes des temps ?
Quelle est la durée de vie d'une tendance ?
N. R. : Elle dépend du produit et du marché. Dans la mode, il existe des tendances de fond (anorak, parka, doudoune, tailleur, sac iconique) et des tendances plus ponctuelles, qui permettent de renouveler fréquemment l'offre et la consommation. Dans la décoration intérieure, le rythme n'est pas le même, on ne change pas les canapés, les rideaux et la vaisselle tous les ans. Les courants durent plus longtemps, quatre à cinq ans.
Hier peut-il être une source pour demain ?
N. R. : Oui. Nous ne pouvons pas nous projeter dans le futur si nous n'avons pas gardé nos bases, nos origines. Nous pouvons utiliser notre passé en le réinventant, avec l'air du temps. Indépendamment de la mode vintage, on peut difficilement porter un vêtement des années 1970 : les manches, la carrure, le tissu, différaient sensiblement. Mais on peut le remanier.
La porosité des territoires est-elle une tendance lourde ?
N. R. : On constate une transversalité dans bon nombre de secteurs.Cela paraît logique puisque, au bout de la chaîne, c'est le même consommateur. L'architecture d'aujourd'hui, avec ses formes rondes, est proche du vêtement, comme l'attestent Zaha Hadid et ses immeubles en forme de capsules, Franck Gehry et son musée de Bilbao. La transversalité s'observe également dans les matériaux sensoriels, les textiles “intelligents”. La petite Citroën C1 correspondmieux aux tendances d'aujourd'hui que la Renault Mégane… L'humour, l'esprit décalé, rebelle, sont également des tendances communes à plusieurs secteurs.
Les tendances, comme les marques, peuvent-elles être globales et locales ?
N.R.: S'il existe des points communs entre les pays, ils sont réadaptés en fonction des cultures locales. Les gammes de couleurs en Espagne ne sont pas les mêmes qu'en France ou aux États-Unis. La jupe courte de l'été dernier ne s'est pas portée de la même manière au Japon et en Espagne, morphologie des femmes oblige. La vague du blanc s'arrêtera aux portes de la Chine, puisque cette couleur y est celle du deuil.
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