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Revue des marques : numéro 65 - Janvier 2009
 

Oracle de la modernité

Loin d'être une science, la“tendançologie” est fondée sur l'éveil, l'aptitude à repérer des signes, à décoder l'air du temps. Moins intuitive qu'hier, elle est devenue plus maîtrisée, pour mieux servir la création.

Entretien avec Entretien avec Nelly Rodi*. Propos recueillis par Jean WATIN-AUGOUARD.



Comment définir la prospective ? Comment a-t-elle évolué ?

Oracle de la modernité
Nelly Rodi : On peut la définir par l'anticipation des courants de fond susceptibles de faire évoluer les comportements des consommateurs. Dans notre univers, mode, cosmétiques, arts de vivre, nous projetons les tendances sur deux ans, aujourd'hui jusqu'à l'hiver 2010-2011. Les méthodes ont changé depuis les années 1980. Auparavant, la prospective, dans l'univers de la mode, était fondée sur l'intuition. À l'ère de la finance, du marketing et de la sociologie (CCA, Sociovision…), les méthodes de travail ont singulièrement évolué.


Comment la prospective s'inscrit-elle dans le processus de création et d'innovation d'une marque, d'un produit ?

N.R. : Notre méthode de travail, le “marketing-style”(marque déposée), est fondée sur trois pôles. L'intuition est bien sûr préservée dans le pôle création, qui réunit pendant deux mois des créatifs et stylistes pour proposer de nouvelles visions de l'avenir. La synthèse des travaux est présentée chaque saison dans un cahier pilote. S'ajoute le pôle marketing, veille des signes avant-coureurs du changement, assurée par vingt-trois agents prospecteurs, dans le monde entier, des tendances qui émergent sur leur propre marché. Le pôle marketing étudie également les attentes des consommateurs. Hier, seul le créatif était en contact avec l'entreprise ; aujourd'hui, nous travaillons en binôme, créatif- marketing. Cela conduit à être plus attentif à la cible de clientèle, au type de marché, au prix, à l'outil industriel. Le troisième pôle, sociologique, analyse, sur le plan qualitatif, l'évolution du comportement des consommateurs. Une de nos dernières études porte sur le comportement d'achat de l'homme. Nous proposons onze cahiers de tendances par saison, soit vingt-deux par an.

Les entreprises placent-elles l'innovation au coeur de leur stratégie ?

N. R. : Il y a encore une dizaine d'années, l'innovation était considérée comme secondaire. Mais les mentalités changent, comme l'atteste l'enjeu, récent, du management de l'innovation dans l'entreprise, qui doit partir du président jusqu'à la distribution, en passant par la production et les créatifs. Le luxe a bien pris en compte cet impératif. L'avenir des entreprises françaises passe par l'innovation, notre valeur ajoutée, car ce n'est ni par le prix, ni par la production qu'elles peuvent se singulariser sur les marchés internationaux.

Depuis les années 1980, la prospective, dans l'univers de la mode, était fondée sur l'intuition. À l'ère de la finance, du marketing et de la sociologie, les méthodes de travail ont singulièrement évolué.

Comment naissent les tendances ? Quels sont les événements déclencheurs ? Comment décrypter les signes des temps ?

Oracle de la modernité
N.R. : La culture joue un rôle déterminant. Les signes viennent d'expositions d'art contemporain, de films, de défricheurs, influenceurs et primo-adopteurs, d'artistes, chefs de file, qui distinguent à un moment donné telle couleur, telle taille de vêtement, telle attitude. Notre métier est d'abord un métier d'observateur. Nous voyageons dans le monde entier, particulièrement au Japon, pays très en avance dans l'univers de la mode, et dans les pays nordiques pour le domaine écologique. Tous les sens de nos observateurs sont en éveil. Lorsque nous regardons une saison donnée, nous tenons tous les lundis à l'extérieur de l'agence, pendant deux mois, une séance d'échange avec des groupes d'une dizaine de personnes. Il en ressort des signes communs aux différents groupes, annonciateurs de courants que nous synthétisons dans des cahiers de tendances, en scénarisant les ambiances, exploitées ensuite en gammes de couleur, de matières, de formes, dans la mode, les cosmétiques, la décoration intérieure… Le dernier défilé de Jean-Paul Gaultier a mis en avant des ambiances inspirées de l'Amérique latine, scénario que nous avions imaginé dans un de nos cahiers. Quoi de mieux pour légitimer la prospective ! Nous avions également prévu la mode de la couleur noire dont s'est emparé aussi bien l'univers de l'électronique, de la cristallerie, que celui du design en général. Après la vague du noir, celle du blanc va envahir nos objets quotidiens.

Quelle est la durée de vie d'une tendance ?

N. R. : Elle dépend du produit et du marché. Dans la mode, il existe des tendances de fond (anorak, parka, doudoune, tailleur, sac iconique) et des tendances plus ponctuelles, qui permettent de renouveler fréquemment l'offre et la consommation. Dans la décoration intérieure, le rythme n'est pas le même, on ne change pas les canapés, les rideaux et la vaisselle tous les ans. Les courants durent plus longtemps, quatre à cinq ans.

Hier peut-il être une source pour demain ?

N. R. : Oui. Nous ne pouvons pas nous projeter dans le futur si nous n'avons pas gardé nos bases, nos origines. Nous pouvons utiliser notre passé en le réinventant, avec l'air du temps. Indépendamment de la mode vintage, on peut difficilement porter un vêtement des années 1970 : les manches, la carrure, le tissu, différaient sensiblement. Mais on peut le remanier.

La porosité des territoires est-elle une tendance lourde ?

N. R. : On constate une transversalité dans bon nombre de secteurs.Cela paraît logique puisque, au bout de la chaîne, c'est le même consommateur. L'architecture d'aujourd'hui, avec ses formes rondes, est proche du vêtement, comme l'attestent Zaha Hadid et ses immeubles en forme de capsules, Franck Gehry et son musée de Bilbao. La transversalité s'observe également dans les matériaux sensoriels, les textiles “intelligents”. La petite Citroën C1 correspondmieux aux tendances d'aujourd'hui que la Renault Mégane… L'humour, l'esprit décalé, rebelle, sont également des tendances communes à plusieurs secteurs.

Les tendances, comme les marques, peuvent-elles être globales et locales ?

N.R.: S'il existe des points communs entre les pays, ils sont réadaptés en fonction des cultures locales. Les gammes de couleurs en Espagne ne sont pas les mêmes qu'en France ou aux États-Unis. La jupe courte de l'été dernier ne s'est pas portée de la même manière au Japon et en Espagne, morphologie des femmes oblige. La vague du blanc s'arrêtera aux portes de la Chine, puisque cette couleur y est celle du deuil.

Oracle de la modernité

Notes

(*) Présidente fondatrice de l'agence Nelly Rodi, présidente du réseau de l'innovation du textile et de l'habillement pour Paris Ile-de-France (réseau institué par le ministère de l'Industrie en 2000).
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