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Revue des marques : numéro 65 - Janvier 2009
 

Le big-bang des noms de marques

Petit voyage au pays des noms de marque, où l'on voit que les mots présentent des ressources infinies, propres à augmenter les chances de succès d'une innovation.

Propos recueillis par Pierre-Louis DESPREZ*.


Il faut bien donner un nom à ce qui n'a pas de nom, à ce qui est impalpable… Tout compte fait, c'est là le métier des philosophes et de la philosophie.

Vladimir Jankélévitch
Le big-bang des noms de marques
Nommer un produit, un service ou une entreprise est un acte innovant et, en soi, paradoxal : car si la chose est nouvelle, aucun mot existant ne peut la désigner. Pour innover, il faut donc créer jusqu'au nom. Ce qui suppose de s'être interrogé sur les caractéristiques de l'innovation (où réside-t-elle ?), l'effet souhaité sur les destinataires (étonnement, rêve, réassurance ?), les destinataires prioritaires (distributeurs, consommateurs, marchés financiers ou bouche-à-oreille quotidien ?) et le contexte concurrentiel (faut-il un nom descriptif comme ceux des concurrents, métaphorique quand telle est la façon commune de faire, ou vaut-il mieux s'affranchir du milieu ?).

Il était une fois

Quand le plus grand tournoi de tennis de jeunes a cherché son nom, Gulliver était un candidat idéal, pour les talents en herbe : le plus grand au pays des petits, les plus petits au pays des grands. Mais Gulliver n'était juridiquement pas disponible. On proposa Ouatt : Once Upon A Time Tennis…
- Pourquoi Ouatt ? demanda l'organisateur du tournoi.
- Parce que tout le monde vous demandera “What isOuatt ?”.
Et si le cerveau commence à chercher la signification, il se souvient plus facilement de la réponse ! Et tous les contes de fées commencent par “Il était une fois”… Les énigmes font travailler l'esprit et sont un bon moyen de créer une connivence avec le public. C'est le principe des histoires drôles, qui nécessitent un travail de l'esprit pour faire sens. Si certaines blagues font le tour du monde sur Internet, c'est bien que nous aimons ça.

Avocats du diable

L'expression “big-bang” est sortie de la bouche d'un physicien qui s'opposait à l'hypothèse scientifique de l'univers en expansion, et voulut ainsi la ridiculiser. Les avocats du diable font souvent preuve de créativité, en cherchant une image qui frappe, un mot réducteur qui prête à rire : tendons l'oreille.
La naissance hasardeuse de la dénomination “big-bang”, devenue universelle, n'enlève rien à sa pertinence : deux monosyllabes compréhensibles par la grande majorité de l'humanité, une harmonie entre les deux mots, une image qui n'est pas juste (il n'y aurait pas eu d'explosion à l'origine de l'univers) mais qui a une valeur pédagogique (faire entrevoir une théorie complexe). Les métaphores chères aux poètes sont souvent plus évocatrices que des descriptions précises mais incommunicables. Il faut choisir entre parler juste et être oublié, ou faire rêver en acceptant l'approximation. Ce qui n'empêche pas de chercher à combiner vérité et symbole: “e=mc2” est vrai, sonne bien et se mémorise facilement. La science sait aussi se rendre populaire.

Scooter du troisième type

Piaggio a lancé un scooter à trois roues : deux à l'avant, une à l'arrière. Plusieurs univers sémantiques pouvaient être explorés en vue de nommer ce véhicule révolutionnaire : la physionomie (aspect singulier et futuriste de l'engin) ; l'hybridation (à mi-chemin entre le scooter et la voiture) ; la sécurité (finie l'instabilité légendaire du scooter) ; l'origine (légitimité mondiale de l'Italie, pays inventeur du scooter) ; la mobilité (gain de temps et liberté en milieu urbain). Finalement “MP3” a été choisi. Motore Piaggio a 3 ruote ( “moteur Piaggio à trois roues” ) est le sens exact du sigle. Et c'est surtout le nom d'un format de fichier numérique musical répandu dans le monde entier. L'hybridation de deux univers – ici la mobilité et la musique – et la polysémie sont toujours fécondes. Surtout quand les valeurs évoquées s'additionnent : les moyens de mobilité, comme la musique, se réinventent en permanence.

Crème d'homme

“Sauve qui peut”, contre la chute des cheveux ; “Poignées d'amour”, qu'il n'est pas besoin d'expliquer ; “Lendemain de fête”contre les cernes ; “Faux-cul”, pour raffermir les fessiers ; “Mauvais Poil”, contre les poils incarnés. Nickel a réussi à faire entrer les hommes chez Sephora ou Marionnaud au moyen de l'humour. Le pari n'était pas gagné d'avance : dans un marché dominé par des mastodontes, il a fallu que la marque oublie la référence omniprésente des cosmétiques pour femmes et trouve le ton juste. Faire rire est un art, jamais une recette toute prête, mais presque toujours un gage de réussite. Bénéfice inattendu de ces noms qui contiennent systématiquement une histoire décalée : chaque fois que Nickel sort un nouveau produit, les journalistes lui font une publicité gratuite et considérable. Preuve qu'un nom pertinent est une façon de faire parler de soi à moindre frais. “L'humour, disait Wolinski, est le plus court chemin d'un homme à un autre.”

Outil à tout faire

On aurait presque pu l'appeler schmilblick, avec son manche à la forme ergonomique muni d'une grande lanière de caoutchouc réglable, qui dévisse tout ce autour de quoi il s'enroule : bocal de cornichons, siphons entartrés sous l'évier, filtre à huile inaccessible, douille oxydée… Après usage, il atterrit dans la caisse à outils, sous l'évier ou dans un tiroir de la cuisine. De quoi s'agit-il ? Du “Boa” avec lequel on débloque sans effort les objets circulaires sans s'abîmer lesmains. Les créateurs de cet outil multiprise ont été inspirés de faire un détour par le monde des serpents, au lieu de sortir un énième multitool. Le monde vivant regorge de ressources inutilisées.

Sigles d'avant-garde

Les sigles sont redevenus tendance. Alors qu'ils semblaient froids et bureaucratiques, les techniques de l'information leur ont donné une nouvelle jeunesse. ADSL, TGV, MSN, SMS, GSM, USB,GPS…Tous ces outils ont changé nos habitudes d'écrire, de penser mais aussi de nommer. Sous l'influence de cette technophilie et pour gagner en nouveauté, Reebok s'est rebaptisé RBK, le Crédit Lyonnais LCL, Du Pareil Au Même DPAM etc.Comportement générationnel ? Sigle ésotérique fonctionnant comme un signe de reconnaissance dans une communauté, en priorité celle des jeunes ? Sans doute. Les innovations ont besoin d'initiés pour être lancées. Mais le grand public s'approprie vite les nouveaux codes, grâce aux médias. Un jour viendra où une marque de cosmétiques choisira de s'appeler T9 (écritureintuitive sur le téléphone portable), pour qualifier un masque qui donne une bonne mine en un éclair, un sirop de cassis se baptisera K6, un club de vacances OA6, etc. La technique ne produit pas que des technolectes s'adressant à des communautés de spécialistes ; elle contribue aussi à l'invention de la langue courante.

Un nom pertinent est une façon de faire parler de soi à moindres frais. “L'humour, disait Wolinski, est le plus court chemin d'un homme à un autre.”

Réunion au sommet chez Bénédicta

Le big-bang des noms de marques
Pour trouver le nom d'une gamme de sauces, Bénédicta avait évidemment exploré de fond en comble l'univers de la gourmandise. Comme cette gamme revendiquait un côté ludique et moderne, la fantaisie semblait une piste prometteuse. L'inspiration vint avec le souvenir de ce que disent les joueurs au plus fort de leur addiction : “Oh oui ! Encore ! Encore !” Après un travail sur les mots, “Oh Ouizz !” a vu le jour. L'expression a été immédiatement adoptée. Les deux z ont donné de la fantaisie à une expression courante et en ont fait un vrai nom de marque. Le secret de la création, c'est de s'éloigner. Partir du ludique plutôt que du goût paraît risqué,mais le résultat est là : le public adore.
Le secret de la création, c'est de s'éloigner. Partir du ludique plutôt que du goût paraît risqué, mais le résultat est là : le public adore.

Sélakata surMeetic

“You-and-me”,un traditionnel qui rappelle une chanson jazz ; “Zazimut”, plutôt fin et joyeux ; “Cromignon”, tendre et drôle ; “Not desesperate”, qui évoque exactement le contraire ; “Oui ou non”, un peu trop simple ; “Pompier de paris”, qui fantasme ; “Sista dancehall”, très djeun' ; “Un homme pour moi”, “Gayrilla” ou “Kissing girl” : tous les goûts sont dans les noms. Ces pseudonymes glanés sur des sites de rencontre le prouvent : avec la Toile, nous sommes tous des marques. Dans cet univers de connexions par milliards, l'anonymat est la pire des erreurs. Pour entrer en relation, il faut se souvenir de la règle de la commutativité : nous fonctionnons avec les autres par affinités et par communautés de passions, de désirs, de rêves. Dès qu'un pseudo résonne, on a envie d'en savoir plus : c'est le premier pas vers l'autre, et la fonctionessentielle d'un nom de marque. Il ne suffit pas de décliner ses nom-prénom-adresse-qualités, il faut retenir l'attention, donner envie, intéresser. C'est vrai en ligne, c'est vrai dans la vie, c'est vrai pour les innovations qui cherchent leur nom.

Zapetti

Notre dernier exemple est celui d'une marque qui se rebaptise, et peut se remettre à lancer des produits en se libérant d'une écrasante notoriété. Raynal & Roquelaure a acheté à Nestlé les raviolis Buitoni et les plats appertisés deMaggi Saveurs du monde, sans avoir le droit d'utiliser ces noms de marques. L'obstacle semblait de taille, car qui ne se souvenait de l'antienne “ Les raviolis ? C'est Buitoni !”…Quel nouveau nom pouvait faire aussi bien ? Après une exploration du territoire des marques Buitoni et Maggi, la création s'est orientée vers le dépaysement culinaire accessible, le prêt-à-consommer, la rapidité, sans perdre la dimension quotidienne qui a fait le succès de Buitoni. Résultat : Zapetti. Un an après le changement de nom, les raviolis avaient conservé leurs parts de marché, et Zapetti abritait également les gammes deMaggi, permettant au passage de concentrer les investissements de communication. Rien n'est irremplaçable quand il s'agit d'innover.


Notes

(*) Associé de Kaos Consulting (Agence de conseil en création de noms de marque et en innovation). Pierre-Louis Desprez est enseignant à Paris-V Sorbonne, et co auteur avec Ivan Gavriloff de Traité de tous les noms,Histoires de mots marquants - Descartes & Cie 2007.
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