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Revue des marques : numéro 65 - Janvier 2009
 

Bienvenue à la CACO !

Après l'innovation à tous les étages, voici le temps où les portes de l'entreprise volent en éclats, pour convier les clients dans la cuisine de la conception. Celle d'initiatives dont ils seront les utilisateurs, et les ambassadeurs.

Par Brice AUCKENTHALER.

Bienvenue à la CACO !

La tendance appelée CACO [conception assistée par collaborateurs et consommateurs] vise à impliquer en amont les uns et les autres dans l'identification et la conception d'offres innovantes. Si elle tend à se propager, elle demeure assez hétérodoxe, puisqu'elle met en question l'idée que l'innovation est le fait de spécialistes. Pilotée par des spécialistes, en revanche, elle le suppose sûrement. Les innovations qui ont rythmé le progrès sont pour la plupart le fruit d'intuitions personnelles, de besoins égoïstes (le Walkmand'Akito Morita), de constats solitaires (l'aspirateur sans sac de James Dyson), d'expérimentations osées (le Post-it), voired'un hasard, comme le mythe du roquefort, découvert par un berger qui avait laissé traîner une miche de pain avec du lait qui fermenta… Serge Tisseron (1) dit que toute invention est la réalisation d'un fantasme. Au début du XXIe siècle, c'est la capacité à innover à plusieurs, et à produire des idées collectivement, qui semble devenue la façon de concrétiser ce fantasme. Trois ruptures ont favorisé cette évolution: la place prise par l'innovation en tant qu'outil de management, l'interactivité foisonnante du Web 2.0, le développement des économies de service.

Quel rapport peut-il bien y avoir entre la RATP, le collectif Creative Commons, le fromage Boursin, la chanteuse islandaise Björk, le suédois Linux, la nouvelle Fiat 500, les sitesYou-Tube ou MySpace, l'initiative française Wat.tv, Mastercard, Findus, la “confiture d'innovation” d'IBM, le site d'Apple Ipod loundge, la marque Dove, Agoravox, les universels Wikipedia, Citizendium ou Answers.com, le coréen ohMyNews, les américains Threadless, Boeing ou Mom's Inventors,ou encore EDF et la Current TV d'Al Gore ? Tous ont ouvert leur processus de création en invitant qui des collaborateurs des différents départements de l'entreprise, qui des clients ou des consommateurs, à se mêler de ce qui ne les regarde a priori pas du tout: la conception. Après l'innovation à tous les étages, cycle des années 1990, voici peut-être le temps où les portes de l'entreprise volent en éclats, pour convier les clients dans la cuisine de la conception.

Dans un monde paranoïaque, seuls les collectifs survivront

Bienvenue à la CACO !

Quand Andy Grove, le président d'Intel, déclarait en 2000 que “seuls les paranoïaques survivront”, il renforçait la thèse qu'une entreprise se porte mieux si elle a peur. Nous réfutons cette approche, sur la base du vieux principe de confiance: si, en tant que manager, vous avez confiance en vous, en vos équipes, en leur capacité à inventer elles-mêmes un futur dans lequel elles se sentiront bien, autant ouvrir généreusement les portes. Ainsi convié, chacun régénérera sa capacité de sublimer. Reste que la difficulté à innover, à obtenir du temps et des moyens de la part de la hiérarchie directe, à déposer des brevets et à garder une longueur d'avance sans être immédiatement copié existe. Michael Hammer, expert américain du marketing, avait cette phrase : “The last Big Thing was demolishing the walls within enterprises. TheNext Big Thing that will dominate business discourse for the coming decade is the destruction of walls between enterprises…” Cela signifie que ce qui est à l'extérieur de la“boîte” (clients, partenaires, fournisseurs, experts, citoyens, associations…) va interagir de plus en plus avec ce qui se passe à l'intérieur. Et en particulier avec ce qui y est conçu.

Après l'innovation à tous les étages de l'entreprise, cycle des années 1990, voici peut-être le temps où les portes de l'entreprise volent en éclats, pour convier les clients dans la cuisine de la conception.

La poule et l'oeuf

Longtemps, le pilotage, l'émergence d'idées ou de concepts innovants et leur mise au point ont été de la compétence quasi exclusive des experts internes de l'entreprise, les équipes de R&D, de marketing ou d'études principalement, soit un petit cinquième des forces vives de l'entreprise en moyenne. Le reste de l'entreprise et, surtout, le client-consommateur se bornaient, dans les processus d'innovation, à donner un avis et à juger les nouveaux concepts a posteriori, lors des phases d'étude et de test. Il ne serait pas venu à l'idée de les convier en amont dans la conception. Résultat : les idées les plus innovantes étaient souvent tuées dans l'oeuf, du simple fait que la “poule” (l'interne et le client) n'avait pas été impliquée en amont, et ne comprenait rien à l'oeuf. Les idées qui auraient pu permettre à leurs auteurs, les entreprises et les marques, de démontrer leur différence étaient ni plus ni moins abandonnées.Ne pensez pas que leWeb 2.0 n'affectera que les consommateurs. Des entreprises telles qu'IBM (avec ses Innovation jams ou au travers de Second Life), Samsung (par ses innovation rooms), Danone (ses marketplaces), Elli Lily (son Innocentive), Procter & Gamble (Tremor), Société Générale (ses innovacteurs), Total (processus Idea), Walt Disney Co. ou la banque Dresdner, ainsi que des sites tels que www.salesforce.com ou www.laratpetvous.net se servent déjà du Web 2.0 comme d'un outil de management de leurs communautés de collaborateurs.

Les créatifs culturels sont des personnalités capables de catalyser et d'assurer une symbiose entre des courants, des voies alternatives à nos modes de vie, à nos façons de nous organiser.

Tous des “cultural creatives” ?

Les applications disponibles sur la Toile ont suscité un fort besoin d'interaction. Le consommateur ne se satisfait plus d'une réception passive. Il souhaite agir, coproduire, pour tout dire exister. Qui sont ces consommateurs qui postent des commentaires, entretiennent des blogs, agissent en réseau, s'invitent dans la cuisine de l'innovation ? Les marques doivent elles les craindre, se les concilier, les utiliser ? Le terme “cultural creatives” a été promu par le sociologue américain Paul H. Ray afin d'illustrer les nouvelles tendances collectives à créer des contre- courants de pensée face aux systèmes en place. Une sorte de résistance douce, par les idées, pour répondre aux idées assénées à tout va par les gouvernants quelle qu'en soit la tendance. Les créatifs culturels sont des personnalités capables de catalyser et d'assurer une symbiose entre des courants, des voies alternatives à nos modes de vie, à nos façons de nous organiser. Ils symbolisent la réponse humaine à la systémique des machines. Aujourd'hui, un quart environ des citoyens américains vivrait déjà dans un système de valeurs et de comportements nouveau, ouvert à l'environnement, à la sociabilité, à la féminité et au développement personnel. L'homme clé de l'imagination collective, c'est vous et nous : l'homme de l'année 2006 pour le magazine Time : “You”. Toutes les personnes qui créent et colportent du contenu sur Internet. Time a souhaité reconnaître dans la “Person of the year” l'ensemble des “citoyens de la nouvelle démocratie numérique” : “C'est une histoire de communauté et de collaboration sur une échelle jamais vue auparavant.” Un nouveau système nerveux est en train de se créer, qui changera la façon dont nous percevons le monde. Mais aussi la façon dont le monde change.

CACO : la chambre d'écho ?

Un des premiers exemples étonnants de coconception est celui d'OhMyNews, quotidien coréen qui n'a encore aucun équivalent dans le monde. Imaginez un journal exclusivement rédigé et illustré par ses lecteurs. Fondé en 2000, OhMyNews est réalisé par une rédaction flottante de… 45 000 personnes. Une chambre d'écho qui raconte à ses lecteurs ce que d'autres ont vu ou vécu.Un méga forum consulté par un million et demi de lecteurs chaque jour. Lesquels élisent tous les ans le meilleur reporter issu de leurs rangs. Juste retour des choses. Grâce aux téléphones mobiles équipés de caméra et àdes outils comme les blogs “nous devenons tous des journalistes”, comme le dit le NewYork Times. Le deuxième exemple, plus récent et au moins aussi rupturiste, est As warm of angels : il ne s'agit de rien demoins que de la conception et du financement d'un film entier. Bienvenue à l'ère du cinéma 2.0 ! L'initiative revient à l'Anglais Matt Hanson, critique de cinéma et fondateur du premier festival de cinéma en ligne. Les contributeurs“ angels” souscrivent à hauteur d'environ 25 livres (50 euros). Le site n'a besoin que de 50 000 anges pour rassembler le budget nécessaire. Une fois le projet ficelé, ce sont encore les anges qui en assureront la promotion et la distribution. A priori, le filmsera téléchargeable gratuitement sur Internet, sous une licence Creative Commons.

L'imagination collective, nouvelle source de revenus ?

Intel a annoncé fin 2006 qu'il offrait 300 000 dollars aux clients qui apporteraient des innovations gagnantes. Le grand gagnant a été désigné au Spring Intel Developer Forum, qui s'est tenu en mars 2007 à San Francisco. Joli aveu d'humilité de la part d'un leader bien dans son temps. Pour autant, on peine encore à discerner un modèle économique viable dans leWeb 2.0.La question demeure de savoir s'il répond lui-même à un modèle économique.Ou s'il n'est qu'un outil qui soutient, renouvelle ou consolide les modèles en place. Il n'y a pas de feuille de route pour le travail collectif de six milliards d'imaginatifs potentiels. Observer les fourmis ou les abeilles peut aider mais ne sera pas suffisant.

Une relation 2.0

Et si la CACO était une traduction concrète des hyperliens permettant de faire entrer les clients dans la cuisine de l'entreprise, de leur proposer de coproduire avec les équipes les offres dont ils rêvent ? Mieux, de devenir les ambassadeurs des marques ? Mieux encore,d'en tirer un bénéfice sonnant et trébuchant ? Plus de 730 000 citoyens américains déclarent qu'eBay est leur première source de revenu. Demain, leWeb 2.0 générer a une relation plus forte. Les mots clés de cette nouvelle relation seront transmission (transmettre l'ADN de la marque à des clients qui seront fiers d'y appartenir, car ils auront contribué à l'avènement de nouvelles initiatives), appropriation (condition clé du succès des innovations, en interne et auprès des publics exterieurs), pérennité (la CACO s'autogénère, une fois lamachine à idées lancée, difficile de l'arrêter), pilotage fin pour ne pas se laisser submerger par les débordements créatifs en provenance de l'intérieur et de l'extérieur, la CACO nécessite une équipe rapprochée de pilotes enthousiastes – et marathoniens dans l'âme, car il s'agit d'une longue course ponctuée de “Non,pas possible” , “Faut voir” , “Peut-être quand on aura le temps et l'argent”. Le pouvoir ne vient plus d'en haut, mais du coeur du réseau. Le modérateur qu'est le pilote devient le nouveau patron. Si l'imagination collective est potentiellement une sorte de démocratie de l'innovation, garantit-elle un réel progrès ? Laissons à Roy Spence le soin de conclure : “Every industry in the world that is surviving is in a collaborative mode…The challenge now is not just to have the corner on the smarts, but to corner the smart people…”(in BusinessWeek, 9 octobre 2006)

Notes

(*) Directeur associé d'Expertsconsulting, auteur de l'Imagination collective, Éditions Liaisons, 2007, et d'Imagination 3.0.
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