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Revue des Marques - numéro 64 - octobre 2008
 

Réputation ou image de marque ?

Réputation ou image de marque ?

Récemment est apparue en marketing la notion de réputation. Est-ce une nouvelle facette de l'image de marque, un gadget à La mode Web 2.0 ou une petite mais bien réelle révolution ?


PAR FRANÇOIS LAURENT*

A priori, rien ne distingue fondamentalement l'image de marque d'hier – d'aujourd'hui – du nouveau concept de réputation… Erreur gravissime ! Pour s'en persuader, un retour en arrière s'impose. D'où la marque tire-telle son origine ? Et par là même son image ? Pour saisir comment sont nées les marques – et quelle fut leur fonction originelle –, revenons un instant dans une période où les marques n'existaient presque pas : la France rurale du tout début du XXe siècle. À cette époque, producteurs et consommateurs – artisans et clients – entretenaient des relations directes : si le pain du boulanger baissait en qualité , il suffisait de le lui dire. Et il se devait d'accepter la critique avec le sourire et d'améliorer sa production, sinon il risquait de voir sa clientèle déserter sa boutique. Clientèle qui, le soir, se retrouvait sur la place commune, ou dans un des multiples cafés, et ne manquait pas de disserter sur la qualité de la baguette ou la plus ou moins mauvaise humeur du patron (cf. le film de Marcel Pagnol, La Femme du boulanger). Même scénario pour le charcutier, le tailleur ou le marchand de quatre saisons. Essayez de transposer l'histoire dans un hypermarché moderne…

Si la publicité se définit comme le monologue d'une marque qui ne parle que d'elle-même, la réputation se construit du discours d'une multitude d'inconnus, clients et non clients.

De la réputation à l'image

Le XXe siècle a connu, dans sa première moitié, un exode rural massif – en France, en Allemagne, en Italie… partout, les pays anglo-saxons devançant légèrement les latins. Difficile, aujourd'hui, à Paris, de dialoguer avec son charcutier… surtout si, établi dans la Nièvre, il commercialise ses produits préemballés chez Carrefour ou chez Auchan. Ainsi sont nées les marques :pour permettre aux consommateurs d'identifier et de retrouver chez n'importe quel commerçant les produits dont ils étaient sûrs de la qualité, parce que signés par un même producteur. Ce furent deux obscurs fabricants de bougies et de savon qui en ressentirent les premiers le besoin, aux Etats Unis, après la guerre de Sécession :William Procter et James Gamble, fournisseurs de l'armée de l'Union, souhaitaient que les soldats démobilisés puissent retrouver avec certitude les produits dont ils avaient apprécié la qualité sous les drapeaux.

Ainsi est née la marque – de cette fonction primordiale que Georges Péninou désignait sous le vocable de “Nomination” : “La publicité est, avant toute chose, un grand baptistère, o ù les productions les plus disparates, issues de géniteurs innombrables, espèrent obtenir le sceau d 'une identité”1. William Procter et James Gamble, à leurs débuts, tout comme Aimable Castanier, le boulanger de Pagnol, bénéficiaient auprès de leurs clients d'une bonne réputation. On appréciait leurs produits, mais aussi leur personnalité : il n'y avait pas alors lieu de séparer le producteur de son produit. Aujourd'hui encore, on préfère acheter sa baguette l à où on vous la tend avec le sourire ; en revanche, on se soucie peu de qui réellement fabrique la lessive ou le shampoing qu'on achète. Différence entre artisan et multinationale…

La publicité va casser le couple producteur-produit et mettre l'emphase sur celui-ci, quitte à créer un faux producteur de circonstance quand le besoin s'en fera ressentir : Justin Bridou et autres Charles Gervais –mort en 1892,mais encore bien vivant dans les écrans de la marque éponyme. Le produit coupé de son producteur va donc devenir marque. Marque dotée d'une image que la publicité devra se charger d'enrichir, comme l'ont expliqué Dichter ou Joannis, qui constatait ainsi : “Si l'on montre au public la photographie d'une jeune fille élégante et celle d'un cultivateur aisé et qu'on demande laquelle de ces personnes utilise une Simca et laquelle utilise une Peugeot, une marque est pratiquement toujours attribuée à la jeune fille et une pratiquement toujours au cultivateur” 2. Et d'expliquer ensuite comment améliorer ladite image. En même temps qu'elle crée la marque en séparant le produit de son producteur, la publicité monopolise le discours : la communication se “verticalise” dans les mass-médias. La discussion au café –où se créaient les réputations – se voit remplacée par le monologue de la télévision – creuset des images de marque :d'où cette considération de Patrick Le Lay, président de TF1, lors d'une interview à l'AFP en 2004 : “Ce que nous vendons Coca-Cola, c'est du temps de cerveau humain disponible.”

De l'image à la réputation

Pourquoi réintroduire aujourd'hui en marketing une notion de réputation doucement disparue tandis que s'installait, au fil des ans, une communication publicitaire efficace ? Parce que sont réapparues les conditions de son existence. Face à la verticalité de la communication publicitaire – la marque parle en majesté à des téléspectateurs qui n'ont d'autre choix que d 'écouter – renaît une communication horizontale, de pair à pair, comme au bon vieux temps de la place publique ou du café du commerce. Pour simplifier, si la publicité se définit comme le monologue d'une marque qui ne parle que d'elle-même, la réputation se construit du discours d'une multitude d'inconnus, clients et non clients. Ce que le gigantisme des villes modernes et la globalisation industrielle avaient réussi à effacer en un siècle de marketing triomphant, la toile le permet à nouveau : un constant dialogue entre consommateurs sur les produits et les marques, mais aussi sur les producteurs. Le Web – le Web 2.0 – est devenu une gigantesque ruche où tout un chacun peut librement s'exprimer sur son blog ou sur un forum, laisser un avis sur un site marchand, poser une question sur un réseau social, rédiger un article sur Wikipédia, etc. Sur tout, sur rien… donc également sur ce qui se vend et s'achète.

Au-delà de ses marques et de ses procédés, l'entreprise doit apprendre à redevenir simplement humaine… c'est-à-dire travailler avec des gens et pas de simples “ressources”.

Première différence entre image et réputation : dans ce dernier cas, l'entreprise ne maîtrise rien – pas plus que son agence de communication, d'ailleurs ! Quand Unilever lance Signal Soin Fraîcheur, “premier dentifrice au monde à utiliser la technologie brevetée appelée Core & Core [qui] procure une sensation de fraîcheur extrême…”3, le concurrent de Procter & Gamble peaufine une communication où l'obtention du label Produits de l 'année figure en bonne place. Ça, c'est de l'image De marque… Qu'en pensent les consommateurs ? “Bon, ok, un dentifrice sert avant tout à se laver les dents, mais moi, je veux aussi qu'il me laisse une haleine fraîche : avec ce nouveau Signal, c'est raté” . Ou : “Pour le dentifrice, l'aspect est plutôt bizarre, gélatineux, beurk ! Quand on le met sur la brosse, il a plutôt tendance à se barrer dans l'évier en glissant, ce qui n 'est pas du tout pratique, le goût est plus un goût de médicament que de dentifrice …”Voilà ce qu'ils en disent sur Ciao (4).D'autres préféreront laisser un avis sur certains sites marchands comme Amazon5, qui commercialise Windows Vista : “Côté innovations, je n'ai pas trouvé grand-chose qui vaille vraiment la peine d'investir autant d 'argent pour l'instant.” Ou : “Ah, pour être joli c'est joli ,mais mon imprimante HP est incompatible, un comble quand mon PC est HP aussi, mon Windows Media Center grâce auquel mes images étaient plus belles que Sur ma télé, pas compatible…”

Seconde différence entre image et réputation : la fin de la dissociation produit-producteur. Ainsi, Nike ne rime plus seulement avec chaussures de sport, c'est aussi un fabricant qui sous-traite dans les pays émergents :“Pour éviter qu'une usine de sous-traitance ne fabrique un nombre de chaussures plus important que le nombre commandé pour les écouler sur le marché noir, Nike fait fabriquer les pieds gauches dans un pays et les pieds droits dans un autre pays. Des fois que les ouvriers de leurs usines aient envie de porter des Nike que leurs salaires ne leur permettent pas de s'acheter, ils ne pourraient chausser qu'un seul pied”, nous livre oPhidiTe.6 Et nettement plus virulent : “ Boycottons Nike, boycottons les télés écran plat fabriquées en Chine, boycottons les chemises, T-shirts, godasses fabriqués essentiellement là-bas !”7

Entreprise citoyenne et marketing humain

Comment réagir dans ce nouveau paysage, quelle stratégie adopter ? Déjà, et c'est un préalable important, être réellement quelqu'un de présentable, de recommandable : après avoir peaufiné pendant des années la dimension produit-marque, l'entreprise doit soigner d'urgence la dimension industriel producteur. Redevenir humaine, c'est-à-dire une entreprise qui respecte autant ses collaborateurs que ses clients – qui les considère tous comme des citoyens. Ses collaborateurs, quels qu'ils soient, où qu'ils soient : la dimension éthique n'est jamais loin .Nike, Apple et Gap en ont fait les frais. Ainsi le distributeur de vêtements s'est vu accuser fin 2007 de faire fabriquer des chemises pour fillettes par des enfants indiens ; il a aussitôt dû retirer les chemisettes incriminées des rayons et rappeler que “dans aucune circonstance il n'est acceptable que des enfants fabriquent ou travaillent sur des vêtements” 8. Quant à la marque à la pomme, c'est en juin de la même année que The Mail on Sunday révélait que les employés de l'usine Foxconn produisant ses iPod gagnaient moins de 50 dollars par mois pour plus de quinze heures de travail quotidiennes, sept jours sur sept, ce que le journal assimilait à du travail forcé. Et la blogosphère d'en faire des gorges chaudes.
Ses collaborateurs et…ses clients : en arrêtant de les considérer comme de simples vaches à lait mais comme des égaux. Des gens qui non seulement s'expriment librement sur Internet, mais avec qui il faut réapprendre à dialoguer. Réapprendre à dialoguer et ne pas faire semblant.

L'Oréal s'est montré précurseur en la matière, additionnant dé convenues, puis succès. Déconvenue avec Vichy et Le Journal de ma peau, le pseudo-blog de Claire9, une charmante jeune fille qui devait quotidiennement faire état de sa peau durant les vingt et un jours que durait le traitement de son nouveau produit miracle : Peel Microabrasion. Hélas, les consommatrices ne s ' en laissèrent pas conter :“Cette histoire ne me semble pas très naturelle… cela ressemble un peu à une sitcom de troisième zone.” Comment rebondir ? D'abord, en reconnaissant son erreur et en s'excusant platement. Puis en modifiant radicalement son attitude face à la blogosphère et en acceptant de ne plus tricher : du coup, même les détracteurs les plus virulents de l'opération ratée ont salué le retour de Vichy : “Changement de tactique : plus de personnage fictif. Vichy a recruté cinq vraies blogueuses, pas vraiment au hasard [ …].Tout colle parfaitement : non seulement elles sont en plein dans la cible produit (entre 35 et 40 ans, l 'âge où les premières petites rides apparaissent),mais en plus elles ont la “ positive attitude” tout en offrant un mélange de parcours personnels différents. […] Delphine a retenu la leçon : sur un blog, il faut être authentique” 10. Et désormais, le groupe de cosmétiques est cité en bon exemple de pratiques Internet : contrairement aux stéréotypes, le droit à l'erreur existe dans la blogosphère… à condition de ne pas en abuser !
Une marque peut faire amende honorable :honnêteté et sincérité paient. Depuis, L'Oréal s'est également essayée au jeu de la création publicitaire “collaborative” sur Current TV : ici, ce sont les téléspectateurs de la chaîne créée par AlGore qui réalisent les spots. Tout cela modifie à la fois les rapports entre citoyens et marques – mais également entre annonceurs et agences de publicité. En changeant ainsi – même partiellement – de statut, la marque change ipso facto de personnalité : citoyenne parmi des citoyens, elle doit adopter les valeurs de cette nouvelle citoyenneté: honnêteté ,transparence, altruisme. Bien évidemment, pas question de tricher – de se doter d'une personnalité désintéressée sur Internet, tout en persévérant ailleurs dans une attitude plus traditionnelle ! Ce n'est pas parce que l'on conjugue les deux modes de la verticalité et de l'horizontalité sur le plan de la communication qu'on peut dé velopper une personnalité bicéphale, c'est-à-dire schizophrène !

Ce passage de l'ancienne notion d'image de marque à celle de réputation constitue donc bien une révolution, mais pas une petite : Internet rend caduc en quelques années un siècle de pratiques méthodiquement codifiées ! Au-delà de ses marques et de ses procédés, l 'entreprise doit apprendre à redevenir simplement humaine… c'est-à-dire travailler avec des gens – et pas de simples “ressources” – pour des “gens” – et pas seulement des acheteurs… Sinon, elle risque de découvrir sur la Toile des échanges de ce type o ù employés et usagers de la SNCF dialoguent en des termes étrangement complices : “Plus ça va, moins j'ose venir sur ce site tellement j'ai honte de mon entreprise qui vous traite dans ces conditions” 11.

Notes

(*)Coprésident de l'Adetem. Auteur de : Marketing 2.0 – L'intelligence collective rédacteur du blog www.marketingisdead.net.
1 - Georges Péninou : Intelligence de la publicité, Robert Laffont, 1972.
2 - Henri Joannis : De l'étude de motivation à la création publicitaire et à
la promotion des ventes, Dunod, 1965. 3 - http://www.produitsdelannee.com
4 - http://www.ciao.fr
5 - http://www.amazon.fr
6 - http://ophidite.com/2005/10/nike-cest-trop-fort
7 - http://motsahic.hautetfort.com/archive/2008/03/25/boycott-et-jo.html
8 - http://www.lefigaro.fr
9 - http://www.journaldemapeau.fr.
10 - http://www.laurent-bernat.com
11 - http://xmo.blogs.com/train_train_quotidien.
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