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Revue des marques : numéro 62 - Avril 2008
 

Nom de domaine et intelligence économique

Le nom de domaine est une composante de la marque. Les entreprises doivent mettre en place les moyens de surveiller l'activité autour de leurs noms de domaines sur Internet.

Propos recueillis par Dominique MORVAN*.


Dominique-MORVAN
Dominique MORVAN
La conception et la protection des marques sont des compétences bien établies qui reposent sur une certaine éducation des entreprises. Successivement passé d'une longue période de conception, du début des années 1970 au milieu des années 1990,à une popularisation rapide jusqu'en 2000, puis à une accélération commerciale, le développement de l'Internet a des conséquences sur les marques qui sont souvent sous-estimées, voire ignorées par les entreprises. Un constat s'impose, la communication relative à une marque est facilitée par les services du Web et des moteurs de recherche. L'accès au site d'une marque dépend de l'enregistrement d'un nom de domaine.Saisi dans un navigateur (Internet Explorer, Firefox...), il permettra d'afficher le site. Le nom de domaine devient donc une composante de cette marque. Son enregistrement est indissociable du processus de création d'une marque. Oublier ce principe expose à des nuisances ou à des préjudices sans rapport avec le prix du nom de domaine. Mais un nom de domaine ne va jamais seul.
 
La prolifération d'extensions répond à un triple besoin : le libéralisme commercial, l'élargissement de l'espace d'adressage, qui peut se saturer, et le besoin d'identification communautaire.

Quelques rappels utiles

Le principe du nom de domaine a été arrêté en 1983, avec la première spécification des DNS (domain name server). Les DNS sont presque à la localisation sur Internet ce que le GPS est à la géolocalisation. Le rôle d'un DNS est de convertir le nom de domaine saisi par un internaute dans son navigateur en adresse physique sur le réseau (dite adresse IP). Internet est rempli de DNS qui communiquent entre eux, presque instantanément, pour trouver celui qui contient telle adresse IP. Jusqu'en 1995, les noms de domaines étaient limités à quelques extensions (.com, .edu, .mil, etc.) dont la plupart étaient inaccessibles aux entreprises, et les autres difficilement accessibles. A partir de 1995, il y a eu un mouvement de libéralisation et d'élargissement des extensions dites génériques : com, net, org, biz, info...
En 1998, ce microcosme grandissant s'est donné des moyens de gouvernance par la création de l'Icann (Internet Corporation for Assigned Names and Numbers). Les extensions pays se sont développées (fr, de, it, be...). Les extensions génériques se sont élargies (coop, travel, jobs, mobi), avec les extensions dites génériques sponsorisées, conçues pour une communauté professionnelle. Les génériques de communautés culturelles, linguistiques et géographiques sont apparus avec le ".cat" (Catalogne) et le ".asia", et d'autres candidats piaffent d'impatience (".bzh", Gallice, pays de Galles, Paris, Berlin...). On recense environ deux cent cinquante extensions, dont beaucoup ne sont pas encore opérationnelles. Cette prolifération répond à un triple besoin : le libéralisme commercial, l'élargissement de l'espace d'adressage, qui peut se saturer, et le besoin d'identification communautaire. De façon surprenante, il y a aujourd'hui une sorte d'obligation de réserver des noms de domaine sous un maximum d'extensions pour protéger une marque, alors que ces extensions avaient une vocation sectorielle. Cela provient des pratiques délictueuses, concurrentielles,spéculatives ou simplement protectionnistes qui s'intensifient.

De l'internaute à l'éditeur d'un site

Identifier ces pratiques suppose de bien comprendre comment un internaute est mis en relation avec le contenu d'un éditeur de site. Il a trois possibilités à partir de son navigateur : en cliquant sur une adresse enregistrée dans ses favoris ou dans un répertoire ; en cliquant sur un lien rendu par un moteur de recherche ; en saisissant directement l'adresse dans la barre du navigateur. La navigation directe repose sur la mémoire de l'internaute ou sur son instinct, qui l'amène à essayer une adresse construite avec le ou les mots qui constituent son intérêt du moment. Ainsi, un internaute en recherche de bonnes affaires sera tenté de saisir bonnesaffaires. fr, pour voir si cela aboutit quelque part. De mémoire ou d'instinct, le résultat de sa saisie peut contenir des fautes ou variantes d'orthographe et des séparateurs. Il risque donc de ne rien obtenir, sauf si ces formes syntaxiques ont été réservées par quelqu'un, titulaire ou non d'une marque.

Quant aux moteurs de recherche, beaucoup ont remarqué que leur usage est gratuit mais qu'ils se rémunèrent par des liens payants placés en évidence sur les pages rendues selon les mots clés cherchés. Ils ont donc contribué à motiver des annonceurs, qui paient leur publicité selon le mode du pay per click. Dès lors, ces annonceurs ont intérêt à ce que leurs liens figurent non seulement sur les pages résultats des moteurs de recherche, mais aussi sur tout site à fort trafic, dont le propriétaire recevra une partie de cette rémunération "au clic". Les sites destinés exclusivement à ce mode de rémunération ont proliféré. Ils ne contiennent que des liens commerciaux fournis par les régies publicitaires des moteurs de recherche, où ils sont hébergés en pages parkings par un hébergeur qui fournit sa propre régie publicitaire. On notera que l'exploitant de pages parkings propose souvent la revente aux enchères de noms de domaines utilisés sur ces pages. Ces pratiques constituent un piège ou une opportunité pour les marques. C'est un piège si un nom de domaine contrefait comme évoqué ci-dessus attire et détourne du trafic, et peut être des ventes. C'est une opportunité si le titulaire d'un domaine non contrefait en parking a développé un fort trafic pour le vendre ensuite à une marque, qui en bénéficiera.
Il existe ainsi deux marchés pour les noms de domaines. Le premier est le marché de l'enregistrement pour donner l'accès à un contenu d'éditeur,généralement titulaire des droits d'une marque. Le second est celui de l'enregistrement dans un but spéculatif de génération de revenus par les annonceurs, puis de la revente. Cela amène les titulaires d'une marque à devenir des acheteurs du second marché dans une démarche protectionniste (tel domaine détourne du trafic de la marque) ou expansionniste (tel domaine amènerait du trafic supplémentaire à la marque).

S'il est possible à une entreprise de surveiller les agissements en ligne autour de ses marques ou de celles de ses concurrents, il est aussi possible d'intercepter des informations relatives à la création de nouvelles marques

Les pratiques nuisibles

Un spammeur ou un phisheur déposera un nom qui servira dans ses campagnes d'emailing à déjouer l'attention du destinataire pour l'amener à ouvrir le message. Le titulaire d'une marque contrefaite par un spammeur ou un phisheur va subir un préjudice d'image, si ce n'est pire. Un cybersquatteur qui réserve un nom de domaine en contrefaisant une marque veut en tirer profit par la rémunération publicitaire. Outre le détournement possible d'une intention d'achat visà- vis d'une marque, cette rémunération publicitaire peut aussi provenir de concurrents de la marque. Elle subit alors un double préjudice, la perte d'une vente et la réalisation d'une vente au profit d'un concurrent. Dans certains cas de similitude de noms de marques, les variantes syntaxiques ou l'usage des séparateurs peuvent permettre un détournement délibéré de trafic, d'autant plus durable que la marque n'aura pas été suffisamment protégée par les moyens traditionnels pour faire valoir ses droits sur le nom de domaine.

Les ripostes possibles

Ces pratiques ne sont pas immédiatement détectables. Pourtant, il existe des outils pour surveiller la base de données mondiale des noms de domaines et mettre en évidence des constructions syntaxiques qui peuvent correspondre à des contrefaçons.Dès lors qu'on a détecté un tel nom de domaine, on peut analyser les raisons de son dépôt, la nature du préjudice qu'il représente et envisager l'action la plus appropriée. Il y a trois actions ou ripostes possibles selon qu'il y a ou non certitude de contrefaçon: engager une procédure administrative auprès de l'organisation appropriée, pour faire valoir des droits sur le domaine ; tenter une négociation amiable ou aux enchères en vue d'un rachat, si la procédure administrative n'est pas garantie de succès ; attendre l'expiration éventuelle du nom de domaine pour tenter son rachat, en utilisant des outils de surveillance spéciaux. Souvent, il ne sera pas possible d'agir, voire inutile.

L'intelligence économique par les noms de domaines

Tout comme les entreprises ont appris à surveiller leurs concurrents ou les contrefacteurs qui opèrent autour de leurs marques, il est opportun qu'elles mettent en place les moyens de surveiller l'activité autour de leurs noms de domaines. Les noms de domaines sont consignés dans les bases de données des registres (accessibles par les whois ou who is),des DNS,des opérateurs antispammeurs, des moteurs de recherche, des hébergeurs de pages parkings (en fait leurs DNS), etc. Des techniques d'exploitation intensive des données permettent de surveiller et de connaître les éventuelles contrefaçons, leurs auteurs, leurs motivations, l'audience qu'ils suscitent, la nature des préjudices qu'ils peuvent commettre.

Bien que peu pratiquées aujourd'hui, ces techniques permettraient aussi de surveiller des concurrents et de comprendre mieux leur stratégie sur la Toile. Ainsi, il est assez aisé de reconstituer le parc de noms de domaines d'un concurrent, de surveiller sa communication de marque, sa stratégie d'optimisation de son audience par les noms de domaines. Tout cela relève de l'intelligence économique, pour laquelle il faut disposer des outils appropriés et de l'expertise nécessaire, si l'on ne veut pas passer des lustres à étudier le contenu des sites. L'analyse experte des dépôts et des modifications des caractéristiques opérationnelles des noms de domaines permet en effet une évaluation rapide. S'il est possible à une entreprise de surveiller les agissements en ligne autour de ses marques ou de celles de ses concurrents, il est aussi possible d'intercepter des informations relatives à la création de nouvelles marques. Des précautions sont prises par les titulaires, mais elles sont souvent insuffisantes. A titre d'exemple, l'utilisation d'un registrant professionnel mandaté pour garder l'anonymat peut être une incitation à aller regarder de plus près. Les DNS peuvent alors révéler des choses qui devaient rester cachées jusqu'au lancement.

Notes

(*) Directeur général de Namebay : créateur de noms de domaine.
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