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Revue des marques : numéro 62 - Avril 2008
 

L'intelligence économique, outil naturel des marques

Intégrateur de diverses disciplines, l'intelligence économique est bien plus qu'un état d'esprit, un concept. De nombreuses marques l'utilisent au quotidien en mode participatif, depuis longtemps.

Entretien avec René-Henri Legret, directeur du service formation du groupe SNGS. Propos recueillis par Jean WATIN-AUGOUARD.


A l'heure de l'économie de l'immatériel, en quoi l'intelligence économique est elle utile ?

René-Henri Legret
René-Henri Legret

René-Henri Legret : L'économie de l'immatériel concerne tous les secteurs de l'entreprise. Même les plus concrets, réels. Le patrimoine (sous toutes ses formes), en est l'illustration la plus visible. Quoi défendre et valoriser ? Pourquoi ? Comment ? Avec qui ? Autant de questions pour pérenniser une marque auxquelles l'intelligence économique est susceptible d'apporter une aide très concrète au processus de décisions et d'actions. Il ne faut pas confondre l'objectif avec les moyens. Le chef d'entreprise est le seul à bien connaître ses domaines d'activité stratégiques, le seul à les appréhender dans leur globalité. Ce qu'on appelle "intelligence économique" et ce que je nomme "traitement de l'information stratégique"est un intégrateur s'adressant au seul dirigeant. Le pouvoir ne se délègue ni ne se partage. Le chef d'entreprise, civilement et pénalement responsable de ses actes, est le seul à prendre ses décisions, et personne d'autre ne les assume aussi complètement que lui, au niveau civil ou pénal. Les directeurs commerciaux, techniques, financiers, administratifs, marketing... possèdent certes une compétence technique réelle dans leur domaine et, pour partie, une vision de l'activité qui leur est propre. Mais ils possèdent rarement l'approche systémique, une vision d'ensemble, stratégique.

Comment cerner le concept d'intelligence économique dans l'économie de l'immatériel ?

René-Henri Legret : Il est nécessaire de distinguer ce que d'aucuns appellent l'intelligence économique de la recherche ou de la collecte d'informations sur Internet.C'est trop souvent sous cet angle réducteur que le concept a été vendu auprès des dirigeants. L'intelligence économique ne peut être réduite à cette dimension informationnelle. La veille, pour instructive qu'elle soit, quelle que soit la discipline,n'est qu'un relevé de faits passés. L'empilage de données aussi. Ils ne peuvent engager l'avenir qu'à partir du moment où l'on sait ce que l'on veut et où l'on va.

Avec le développement d'Internet, certains ont cru que les TIC(1) allaient leur donner toutes les réponses, voire plus, aux questions qu'ils se posaient. D'autres n'ont su se défier de pseudo-prestations très chères proposées par des "anciens des services" laissant croire qu'ils proposaient un niveau d'information identique à celui que l'excuse absolutoire de la raison d'Etat leur conférait. Nous sommes là à la limite de l'escroquerie. L'intelligence économique n'est ni une barbouzerie ni la simple collecte d'informations en ligne. C'est un vrai métier, qui demande rigueur et professionnalisme,a des règles éthiques, une déontologie, et répond de ses actes devant la Loi. Dans la pratique il n'y a rien d'illégal. Les professionnels refusent toutes manoeuvres intrusives ou coercitives. Ce n'est pas un hasard si le renseignement est l'un des deux plus vieux métiers du monde et qu'il perdure : c'est qu'il y a des besoins et une demande...

En France, il semble que les décideurs ne voient pas, ou pire ne soient pas conscients que développement et intelligence économique sont compatibles et surtout synonymes d'avantages !

En quoi consiste la réponse à cette demande ?

René-Henri Legret : La maitrise de l'information stratégique. Cela sousentend le traitement de l'information pour lui donner du sens, une vraie valeur ajoutée, dans l'esprit du rapport Martre (1994) : donner au chef d'entreprise une meilleure lisibilité et visibilité de son environnement, et surtout une mise en perspective, qui lui permettent d'élaborer un processus de décision et d'action. L'information stratégique est aussi un levier de développement. Elle ne sert pas uniquement à protéger, mais à anticiper et à donner au chef d'entreprise, quand il le juge utile, la possibilité de pousser son avantage concurrentiel au moment où il l'a choisi, afin d'atteindre des objectifs de développement décidés. Pour ce faire, il faut comprendre que l'intelligence économique est un intégrateur de disciplines multidimensionnelles : la première, la dimension humaine, est essentielle. Puis viennent la dimension économique (tous les aspects financiers et techniques s'y rapportant), la protection du patrimoine de l'entreprise (la sécurité des personnes et des biens sans omettre marques,brevets,procédés, ni les mémoires, sous toutes leurs formes, incluant l'information...), le technique, la production, le juridique et réglementaire (tous les systèmes de veilles s'y rattachant), les concurrents (directs et indirects), les fournisseurs (nouveaux produits, nouveaux composants...), les prospects, les clients. Mais aussi des données de nature géographique, climatique, culturelle, confessionnelle, sociologique, politique, etc.

Pouvez-vous citer des marques qui l'utilisent ?

René-Henri Legret : L'intelligence économique est l'outil naturel des marques. Tous les grands noms du luxe, des parfums, de l'univers de la mode, de la santé comme les laboratoires, l'utilisent, certains depuis longtemps. Des constructeurs automobiles, informatiques, des fabricants de chaussures sportives, des entreprises de l'agroalimentaire, également, avec plus ou moins de bonheur. Les faits ne sont pas têtus. Ce sont souvent de mauvaises questions qui entrainent des erreurs d'interprétation. Généralement, la sanction du marché est dure : le retrait de la vente (par exemple Dasani), la perte financière (Daimler avec Chrysler), ou l"éruption d'un inattendu (Tata avec Jaguar et Land Rover).

Existe-t-il un marché de l'intelligence économique ?

René-Henri Legret : Certains acteurs ou observateurs considèrent que les prestations de services issues de l'intelligence économique connaissent un marché en pleine expansion en France. Il n'est qu'à voir le nombre de cabinets qui en "font" (un département en dénombre officiellement 128 !). Des chiffres circulent, parfois vertigineux, mais quel crédit leur accorder ? Les prestations en matière de recherche, de fourniture et d'analyse d'informations, d'enquêtes privées, de sécurité et d'influence légale (le lobbying notamment), sont déjà bien installées (les études de marchés et analyses concurrentielles depuis 1954, les missions de détectives privés depuis 1947). Cet eldorado n'est peut-être, in fine, qu'un jeu à somme constante... Aujourd'hui, tous les acteurs sont dans le bleu. Mais à notre connaissance, personne depuis 1995 n'a mené de véritable étude de marché.

Comment se place la France par rapport à ses concurrents ?

René-Henri Legret : La culture du pilotage stratégique y est atomisée quand elle existe. Les entreprises ne savent toujours pas identifier, analyser et traiter systématiquement, de façon organisée et continue les signaux faibles. Les modèles d'intelligence économique qui existent de par le monde évoluent en permanence et se transforment en profondeur, au regard des nouveaux entrants et des contraintes liées aux marchés et aux réglementations. De nouvelles évolutions en matière de recueil, de croisement de regards, d'analyse, de mesure, émergent d'un mois à l'autre. Le dispositif chinois s'est considérablement renforcé ces dernières années et a intégré à son avantage l'éventail des dernières pratiques et méthodes d'analyse concurrentielle. Qui doit-on remercier ? Les pays qui ont intégré la business intelligence depuis les années 1960, qui l'ont formalisée et la mettent à jour régulièrement, (le Royaume Uni et les Etats-Unis), sont contraints de redéployer leur modèle sur la base de savoirfaire nouveaux... Nos alliés américains ont fait ce travail et continuent d'en suivre les évolutions. Ce qui leur permet de cibler exactement les actifs dont ils ont besoin, donc les cibles. En France, il semble que les décideurs ne voient pas, ou pire ne soient pas conscients que développement et intelligence économique sont compatibles et surtout synonymes d'avantages ! Malgré les pôles de compétitivité,peuton parler de stratégie de puissance ? Pourtant nous n'en sommes plus au stade de l'audit.

Que préconisez-vous ?

René-Henri Legret : En premier lieu, de démocratiser l'intelligence économique pour la mettre à portée de toutes les entreprises. Les PME-PMI françaises n'ont pas besoin de collaborateurs surdimensionnés par rapport à leurs besoins, mais de professionnels opérationnels (bac + 2), adaptés à leurs nécessités mais aussi à leur capacité d'embauche et dotés de solides compétences additionnelles. Depuis les propositions faites à Aix en 2006(2), des expérimentations sont en cours dans des IUT. C'est une bonne chose. Mais attention aux dérives : chaque entreprise est un cas particulier et on ne peut dupliquer un dispositif d'intelligence économique d'une entreprise à une autre. En matière de formation : attention au saupoudrage. La connaissance du fonctionnement de l'entreprise et du traitement de l'information stratégique est impérative pour répondre aux obligations des dirigeants. A chaque entreprise : sa culture, ses enjeux, ses marchés, ses produits, sa ou ses marque(s). Les habits de Paul ne vont pas obligatoirement sur Pierre, surtout lorsqu'il se prénomme Simone. Par contre le tissu peut-être le même...

Les chefs d'entreprise doivent-ils être formés et comment ?

René-Henri Legret : Oui et c'est le deuxième volet. La France privilégie le concept, la théorie, au détriment de la pratique. Le groupe SNGS a choisi de s'inscrire dans une démarche inverse de différenciation. Lancé à la fin du premier trimestre 2007, notre produit Mipre©(3) entend démythifier l'intelligence économique, en donnant aux PME-PMI une boîte à outils facilement appropriables, utilisables par le dirigeant dans un cycle très court. Même s'ils décident après de sous-traiter tout ou partie de la démarche, d'embaucher ou de former un collaborateur affecté à cette tâche. Voilà pourquoi nous avons choisi d'orienter ce produit vers le seul aspect qui intéresse les chefs d'entreprise : le concret. Nous ne sommes pas en concurrence avec les services de l'Etat ni aucun organisme officiel. Notre produit est différent. Ce n'est pas de l'information, c'est de la formation.

Notes

(1) TIC : technologies de l'information et de la communication.
(2) Les premières Assises nationales de la formation à l'intelligence économique, en décembre 2006.
(3) Module d'initiation pratique au renseignement d'entreprise ©.
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