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Revue des Marques - numéro 60 - octobre 2007
 

Comment éviter la dégénérescence d'une marque

Le droit sur une marque peut être perdu si la preuve est rapportée qu'elle est devenue la désignation usuelle dans le commerce d'un produit ou service déterminé.

Par Franck Soutoul et Jean-Philippe Bresson*


Franck-Soutoul
Franck Soutoul

La mise en place d'une stratégie et de démarches préventives et curatives peut permettre d'éviter le risque d'une dégénérescence de la marque. La déchéance pour dégénérescence du droit de marque a été introduite pour la première fois en droit français par la loi du 4 janvier 1991. Cette sanction se retrouve également dans le système de la marque communautaire. L'existence d'une dégénérescence est liée à l'attitude du titulaire de la marque. Ses actes positifs (comme des campagnes publicitaires ambiguës ou inadaptées en termes de signalisation du droit de marque) ou négatifs (comme la tolérance de l'emploi fait par des tiers de sa marque) doivent avoir abouti à la vulgarisation du signe. D'une manière objective, le signe constituant la marque doit parallèlement être devenu le passage obligé pour que le public désigne un produit ou un service déterminé.

Plus une marque connaît un succès sur le marché, plus le risque que son emploi se généralise est important. Des mesures anticipant les risques liés à ce succès doivent donc être adoptées afin que l'utilisation de la marque reste maîtrisée et que le droit qui y est attaché demeure entier. Ces différentes mesures peuvent être regroupées en trois catégories.

Communiquer sur son droit et la force de sa marque

Le ou les signes identifiant un produit ou accompagnant un service doivent en premier lieu apparaître comme faisant l'objet d'un droit aux yeux des tiers. Le dépôt ou l'enregistrement d'une marque n'a de sens que si son existence est manifestée auprès des consommateurs et des concurrents afin que le droit de propriété soit signalé.

Cette manifestation du monopole sur la marque s'effectue en accompagnant le signe des symboles TM ou ®. L'emploi de ces symboles n'est pas obligatoire en France mais a le mérite en pratique de marquer la propriété attachée au(x) signe(s) en cause. Elle peut parallèlement ou alternativement s'accompagner d'indications mentionnant de manière expresse l'existence du droit de marque, voire mentionner l'identité du titulaire de ce droit. Ces éléments doivent apparaître sur tous les éléments véhiculant la marque : les packagings des produits, la documentation les concernant ou détaillant l'offre de services, et plus largement toute la communication faite autour de la marque (publicités, prospectus, site Internet, etc.). S'agissant de la marque elle-même qui serait constituée d'une dénomination, il est fortement recommandé que la première lettre la constituant apparaisse en capitale, les autres lettres étant en minuscule, et ce afin d'individualiser le signe.

La stratégie d'accompagnement de la marque consiste en second lieu à faire état de manière plus détaillée de l'existence d'un monopole et du positionnement de la marque sur le marché en faisant publier des encarts spécifiquement adaptés dans des revues, magazines et autres publications.

Surveiller au-delà d'une stricte logique de marque

Ces démarches de manifestation du monopole auprès du public doivent s'accompagner d'une vigilance quant à l'utilisation non autorisée de la marque qui serait faite par autrui. De manière classique, la surveillance consiste en effet à détecter les marques nouvellement déposées par les tiers afin de déterminer les éventuelles actions à mener pour préserver le monopole attaché à la marque. Ces démarches doivent bien entendu demeurer mais s'accompagner parallèlement d'une surveillance de l'utilisation faite par les tiers au-delà de dépôts de marques en vue d'engager les démarches appropriées à l'égard de ces usages.

L'utilisation faite dans les publications constitue un premier axe de surveillance. L'emploi répété d'une marque dans des articles de presse est en effet en mesure de mettre le droit de marque en péril alors même que l'indication de l'existence d'un monopole serait mentionnée par le journaliste. Le tribunal de grande instance de Paris avait en effet retenu en 19971 que la mention dans le corps d'articles de presse que Caddie soit une marque déposée en précisant l'identité de son titulaire n'était qu'incidente et ne faisait pas disparaître le risque de dégénérescence. Les publications reprenant la marque ne font cependant pas toutes courir un risque de dégénérescence. Pour être pertinentes vis-à-vis d'une marque française, ces publications doivent être en français ou, si elles sont en langue étrangère, être manifestement destinées à des consommateurs français2.

Les dictionnaires constituent un réel indicateur d'un glissement de la marque vers une possible vulgarisation. L'inclusion d'une marque dans un dictionnaire doit en effet comporter l'indication "marque déposée" ou "marque enregistrée". Le règlement sur la marque communautaire3 contient d'ailleurs une disposition méconnue des titulaires de marques permettant d'asseoir encore davantage la légitimité de démarches auprès des maisons d'édition. L'article 10 du règlement sur la marque communautaire dispose en effet que "si la reproduction d'une marque communautaire dans un dictionnaire, une encyclopédie ou un ouvrage à consulter similaire donne l'impression qu'elle constitue le terme générique des biens ou services pour lesquels la marque est enregistrée, l'éditeur veille, sur demande du titulaire de la marque communautaire, à ce que la reproduction de la marque communautaire soit au plus tard lors de l'édition suivante de l'ouvrage accompagnée de l'indication qu'il s'agit d'une marque enregistrée".

La définition de la marque adoptée par l'éditeur doit en outre être soigneusement analysée par le titulaire du droit afin d'éviter toute latitude laissée aux tiers sur l'emploi du terme, en demandant si besoin des correctifs à l'éditeur. La présence dans des dictionnaires anglais du verbe "to google" pour indiquer le fait de rechercher des informations a ainsi conduit Google Inc. à adresser diverses lettres de mise en demeure et à parallèlement réaffirmer son droit de marque dans des campagnes publicitaires.

Une surveillance documentaire parmi les publications spécialisées mais également grand public constitue donc un outil à exploiter dans la prévention du risque de dégénérescence. Mais l'identification des possibles sources associées à ce risque impose parallèlement d'appliquer une surveillance du contenu des pages Internet et non pas seulement des noms de domaines.
La prolifération des sites personnels, des blogs et autres espaces d'expression sur Internet multiplie en effet l'origine possible d'un emploi inapproprié de la marque dont le nombre est susceptible de remettre en cause le monopole. Cette démarche est d'autant plus importante que l'Office des marques communautaire justifie dans la grande majorité des cas l'existence du caractère usuel ou générique d'une marque au vu des résultats des interrogations effectuées sur le moteur de recherche Google par les examinateurs.

La prolifération des sites personnels, des blogs et autres espaces d'expression sur Internet multiplie l'origine possible d'un emploi inapproprié de la marque, dont le nombre est susceptible de remettre en cause le monopole.

Agir pour préserver son périmètre de protection

Dans la mesure où la dégénérescence de la marque sanctionne l'inaction et la passivité de son titulaire à l'égard de l'utilisation qui en est faite par les tiers, les lettres de réclamation et de mise en demeure ainsi que les actions administratives et/ou judiciaires conservent toute leur importance. Les mesures de communication préventives ci-dessus conjuguées à la mise en œuvre d'une réelle politique de défense de la marque sont en mesure de permettre d'éviter une dégénérescence. Mais l'existence même de ces démarches et les résultats des actions engagées doivent être consignés et centralisés afin de constituer un véritable dossier illustrant la politique ainsi menée, dossier pouvant être opposé à une demande en déchéance pour dégénérescence. Il n'est en effet pas suffisant qu'une politique de défense ait été effectuée. Encore faut-il que son existence et son envergure soient étayées le moment venu.

L'existence d'un précédent jurisprudentiel fort en faveur du titulaire de la marque constitue indéniablement un élément à déceler, valoriser et dupliquer. Les cas d'utilisation relevés doivent être sélectivement analysés afin de prioriser celui dont l'ampleur et la nature de l'usage sont tels qu'une action administrative (procédure d'opposition devant l'INPI et/ou plainte contre un nom de domaine) et/ou judiciaire est clairement requise. Les décisions sur le cas concerné pourront ensuite être invoquées dans le cadre de lettres de réclamation et de mise en demeure alimentant elles-mêmes le dossier de défense ainsi constitué, afin de faire face à une éventuelle demande en déchéance pour dégénérescence.

La dégénérescence d'une marque peut être évitée en mettant en place, en amont, une politique stricte de marquage du signe et de communication axée sur celui-ci et, en aval, une surveillance élargie afin d'appréhender le plus possible d'usages susceptibles d'affaiblir la force distinctive de la marque. Bien entendu, chaque cas est un cas particulier devant être adapté et pondéré quant à la stratégie à mettre en œuvre.

Notes

(*) conseils en propriété industrielle – Inlex IP Expertise
1 - TGI Paris, 3e Ch., 29 octobre 1997, PIBD 648, III, 119.
2 - TGI Paris, 3e Ch. 13 juillet 2006, PIBD 839, III, 697.
3 - Règlement n° 40/94 du Conseil du 20 décembre 1993.

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