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Revue des Marques - numéro 58 - Avril 2007
 

Vous avez dit communication ethnique !

L'exception culturelle française concernerait-elle également l'impossible communication ethnique ?

Propos recueillis par Pascal BLANCHARD.


Vous avez dit communication ethnique !
Tout le monde en parle. Depuis la victoire de 1998 de l'équipe de France lors de la coupe du monde, ce “fameux effet” de la victoire des bleus, les couleurs seraient à la mode dans l'univers de la communication et du marketing en France(1). Marketing de nombreuses marques ciblées “ethniques”, présence de plus en plus importante de minorités “visibles” dans les publicités (en presse, sur nos murs ou nos écrans), communication multiculturelle comme symbole d'une “France métisse”, utilisation multi-produits des “stars ethniques”, présence spécifique dans des publicités “sociétales” de “minorités visibles”… sont des réalités que nous pouvons tous constater, depuis le début des années 2000. En même temps, et de façon paradoxale, la plus grande partie des spécialistes constate un particularisme français dans le domaine de la communication ethnique et un “blocage” devant toute démarche “ethnique” en communication. Alors que les Etats-Unis assument sans complexe le ciblage des communautés ethniques, et qu'en Europe la Grande-Bretagne et la Hollande pratiquent celle-ci depuis plusieurs années, la communication ethnique est perçue comme contraire aux idéaux de la République française. Cibler l'autre, c'est le différencier, le marquer, le singulariser, récuser le principe d'uniformisation de la communauté nationale dans un pays où les statistiques sur l'origine ethnique des populations sont interdites… et où le discours sur la “discrimination positive” est naissant. En même temps, en à peine cinq ans, les minorités invisibles sont devenues “visibles”dans les médias de par une “pression” de plus en plus forte de l'opinion et des “groupes constitués”. Tout un contexte récent qui modifie l'approche même de la communication ethnique.
La publicité des minorités (linguistiques, ethniques, géographiques…) a toujours été, dans un souci de rentabilité, marginalisé ou quasi-inexistante.

Où se cache la communication ethnique ?

Tout d'abord, reconnaissons une contradiction formelle : la communication ethnique existe depuis que la communication existe. En effet, qu'est-ce que la publicité, le marketing ou la communication que nous connaissons, si ce n'est, dans le cas de l'Occident, une publicité de “Blanc” pour des “Blancs”. Et aujourd'hui dans chaque pays du monde… c'est relativement identique. La publicité des minorités (linguistiques, ethniques, géographiques…) a toujours été, dans un souci de rentabilité, marginalisée ou quasi-inexistante.
Les toutes premières formes de communication différenciées que nous identifions (dans un même pays pour des populations distinctes) sont issues d'espace en lutte : mondes coloniaux anglais ou français, Etats-Unis au temps de la ségrégation, Afrique du Sud dans les années 1940... Puis va émerger, dans les années 1960 aux Etats-Unis, le ciblage plus spécifique des populations noires, via des médias communautaires, des agences spécialisées (la toute première est créée en 1956 pour les Afro-américains : Vince Cullers Advertising… puis ce sera, pour les Latinos, en 1962, SAMS). Puis viendront les agences se spécialisant dans l'univers des Asiatiques, à la fin des années 1980, ainsi que, ne l'oublions pas,dans le même mouvement chronologique,les gays, les juifs et les minorités moins visibles (Russes, Iraniens) et même des communautés d'origine européenne comme les Irlandais ou les Italiens. Depuis, toutes les grandes marques “mondialisées” se sont spécialisées dans cette démarche ethnique de ciblage, en créant des départements spécifiques, en recrutant des profils ethniques, en mandatant des agences, en orchestrant des campagnes… on peut citer Nike, Coca-Cola, L'Oréal,M & M's, Mars, Ford, Pepsi, MacDo, Procter & Gamble…

Alors que les Etats-Unis ,la Grande-Bretagne et la Hollande assument sans complexe le ciblage des communautés ethniques, la communication ethnique est perçue comme contraire aux idéaux de la République en France.

L'icône ethnique

La plus ancienne, la plus ancrée et la plus stéréotypée des communications ethniques est la présence de l'autre dans l'univers publicitaire : l'icône ethnique, généralement liée à quatre fonctions. Soit souligner l'origine du produit (ex. Banania : même si l'origine est antillaise et non africaine), la couleur du produit (ex. Uncle Ben's : l'antinomie de la blancheur du riz), la praticité ou la qualité du produit (ex. Behanzin : même un nègre peut utiliser ce vélo) ou mettre en exergue une situation “humoristique”( ex.Vahiné : un noir au fort accent pour une farine blanche). Dans le registre actuel, c'est à des héros faiseurs de tendance auxquels on fait appel : ceux-ci étant pour la plupart noirs, issus du sport de haut niveau (basket, foot, golf, boxe…) ou de la musique. De Ronaldo à Jordan, de Desailly à Tyson, de Ray Charles à Michael Jackson… ils deviennent les icônes des grandes marques. En France, Zidane est la référence. Entre plusieurs mondes ethniques, il semble la parfaite synthèse, comme l'est, issu du monde du golf, Tiger Woods. Des êtres hybrides, parfaitement adaptés à la communication soft-ethnique, car multi-identificateurs. Ils ne sont pas simplement des faire-valoir chromiques ou des éléments du décor, mais bien des promoteurs à part entière du message, des références avant d'être des représentants d'une communauté. Si bien qu'aujourd'hui on se retrouve avec deux types de figure publicitaire : le personnage ethnique prétexte et anonyme / le personnage référence appartenant à une minorité identifiée. Non comparables, ces deux présences publicitaires agissent pourtant sur la communication ethnique comme items références des messages ciblés que les marques souhaitent véhiculer.

Vous avez dit communication ethnique !
Aujourd'hui on se retrouve avec deux types de figure publicitaire : le personnage ethnique prétexte et anonyme/le personnage référence appartenant à une minorité identifiée.

La communication multiculturelle

Second univers, celui-là (très présent dans la communication institutionnelle américaine, brésilienne, anglaise - à la fois institutionnelle et pour la promotion de produits spécifiques - et aussi française), concerne la communication multiculturelle. Pour être précis, c'est la tendance politiquement correct du moment à donner vie dans les images (affiche, publicité, spot…) à un reflet de la société dans laquelle on s'exprime. Pas une campagne ministérielle, de la RATP ou de la SNCF, et pour des marques comme Adidas,Nike, Siemens, IBM et l'Oréal sans que toutes les communautés ne soient présentes.

Le marketing ethnique

Vous avez dit communication ethnique !

Vous avez dit communication ethnique !

Vous avez dit communication ethnique !
C'est le segment “ethnique” qui fait le plus débat aujourd'hui en France. C'est pourtant le moins dévalorisant pour l'Autre, qui dans la plus grande majorité des cas est infériorisé dans la pure tradition coloniale et raciste. Objectif : proposer une démarche spécifique, pour des produits spécifiques, pour un public spécifique identifié en tant qu'ethnie ou de groupe ethnique constitué (par exemple les Asiatiques ou les Afro-Antillais). Dans un pays où désigner l'autre par ses origines, compter leur nombre dans la société et prétendre que les modes de consommation de chacun perdurentmalgré l'intégration, c'est s'opposer au politiquement correct, on imagine donc les difficultés pour le marketing ethnique à émerger, et même à s'affirmer comme tel. Alors que la France est le premier pays d'immigration en Europe, que notre histoire coloniale a marqué la France plus que tout autre pays européen, que la présence des trois communautés des “suds” importantes (asiatiques, afro et orientales) est une exception française dans l'Union européenne, le marketing ethnique est tabou. La cause : les principes républicains d'intégration qui constituent le ciment de notre société. Il n'y a que très peu de relais d'opinion en France capables de toucher les communautés cibles. C'est même un argument pour ceux qui prétendent que le marketing ethnique n'a, en France, aucun avenir. Pour autant, la présence de héros ethniques dans plusieurs mondes publicitaires a été un moyen de contourner les blocages de la société française.
Depuis la coupe du monde de 1998, les joueurs de l'équipe de France d'origine africaine ou antillaise sont devenus des icônes incontournables et multi-produits. Entre Desailly-SFR, Wiltord-Danette et Zidane-Volvic c'est une page publicitaire qui se tourne. De façon assez curieuse, c'est par ce biais que s'ébauche en France un marketing ethnique. Jamais clairement ciblé, l'Africain ou le Beur le sont via ces campagnes - très rarement l'Asiatique. Mais cela reste limité. Car ce type d'approche ne touche qu'une partie des populations cibles : les jeunes, masculins, de banlieue et cette approche reste généraliste en fin de compte. Le reste des “segments communautaires”n'est guère concerné et pas forcément ciblé.

Entre le refus idéologique de l'identité républicaine fragilisée, l'absence de statistiques et d'études précises,la peur des critiques des agences comme des marques, l'absence de mesures précises sur la rentabilité de cette approche, la focalisation sur la banlieue , espace perçu comme “négatif” par les annonceurs, la quasiabsence de médias puissants pour toucher les communautés et la présence de plus en plus active d'associations qui attaquent ce type d'approche, on peut comprendre que celle-ci peine à s'imposer dans le paysage communicant français. Si les marques et produits français n'occupent pas le terrain,dans très peu de temps les marques étrangères n'ayant pas de tels “scrupules républicains”l'auront totalement occupé.Et à ce moment, les marques françaises copieront le modèle en marche…

Notes

(1) La sortie, au mois d'avril 2003, chez Autrement du livre d'Anne Sengès - Ethnik ! Le marketing de la différence -, semble donner corps à ce constat, mais montre aussi les limites du genre en France… pays d'exception dans ce domaine
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