Comment le design remplit-il son rôle de média ?
A. Le Bris : De par le discours et les signes qu'il véhicule, le design permet de théâtraliser la marque, de révéler sa génétique (son origine, ses valeurs, son savoir faire) et son capital aspirationnel. Face à l'encombrement des linéaires et l'hyper choix (GMS, sélectif, para- pharmacie), le packaging traduit la spécificité de la marque, raconte son histoire de manière immédiate. On sait que 60% des achats en grande consommation se décident sur le lieu de vente. C'est donc là que la marque doit séduire et convaincre en mettant en avant sa valeur ajoutée.
Face à un consommateur de plus en plus exigeant, comment légitimer la marque ?
A. Le Bris : En prenant la parole avec efficacité et en démontrant au consommateur la valeur ajoutée de la marque au travers de ses innovations. Car l'innovation permet d'enrichir le discours de la marque. En créant des ruptures dans les usages, en installant de nouveaux gestes, en bousculant des codes établis, la marque communique sur son dynamisme, sa modernité et sa créativité. Innover en design, c'est repenser la marque dans sa globalité, lui insuffler un supplément d'âme et ainsi créer la différenciation.
Comment communiquer une marque au Japon ?
Florence Bernardin Brec : Le Japon est fondamentalement un pays de marques et donc de communication de marques en raison de la multitude de celles-ci. Communiquer est fondamental, c'est une des clés du succès et de nombreux moyens sont mis en oeuvre pour faire du “buzz” : publicitaires bien sûr, mais également via Internet ou des personnalités médiatiques appelées “Sommelier de peau” (en français dans le texte, connues pour leur beauté, spécialistes des produits cosmétiques, souvent sponsorisées par les marques) ou encore l'échantillonnage sous forme de modèles homothétiques… Dans tous les cas, le message sera très émotionnel, fondé sur des sensations, du vécu, des textures plus que sur des réalités concrètes ou scientifiques
En France, les marques communiquent beaucoup sur leurs valeurs, est ce le cas également au Japon ?
F.B.B. : La communication se fait sur la marque et sur les gammes. Cependant, dans la presse, sur les points de vente, dans les brochures, la communication sera plutôt axée sur la gamme. Le travail de suivi de la consommatrice sur le point de vente avec échantillonnage ou l'utilisation du code QR sur les packagings (qui permet à la consommatrice via son téléphone portable de télécharger le site Internet de la marque pour recevoir des informations sur les produits et également des “incentives” vers d'autres produits de la gamme) est également très important.
Si en France, la marque cultive son histoire et son image dans une idée de préservation des valeurs, qu'en est-il au Japon ?
F.B.B.: Le changement, le renouveau est salutaire et très dynamisant pour le marché japonais. Dans un marché en évolution constante où l'acte d'achat est une source d'évasion, les marques n'hésitent pas à changer leur look et donc de packaging tous les deux ans en moyenne, recréant alors un véritable souffle de nouveauté. Il ne s'agit pas alors de lifting de marques mais de véritables changements de codes. Seul le nom perdure mais tout le reste change, du discours au pack. Dans une tradition bouddhique de non pérennité, ces changements sont à l'image d'une société où l'on ne conserve que des valeurs intellectuelles.
Les consommateurs français sont “pluriels” et utilisent des cosmétiques quel que soit leur âge. Quelles sont les cibles au Japon ?
F.B.B. : Aujourd'hui, la cible cosmétique principale se situe dans une tranche de 18 – 28 ans. C'est un âge où la jeune femme active peut sans contrainte dépenser et se faire plaisir avant tout. Elle peut consacrer jusqu'à 40 % de ses revenus en achats beauté car elle vit encore principalement chez ses parents et n'à encore aucune charge à assumer. Il est vrai qu'une fois mariée (vers 28 ans), elle cessera de travailler pour se consacrer à l'éducation de son enfant et que les revenus du couple ne permettront plus ce genre de dépenses. Néanmoins la population vieillit et aujourd'hui la réalité démographique et économique est là : les 30-60 ans représentent le coeur du volume de la population japonaise. Apparaissent donc sur le marché des gammes de plus en plus ciblées anti-âge… à suivre
Le consommateur japonais a-t-il le même rapport aux marques que le consommateur français ?
F.B.B.: Il n'est pas aussi fidèle. Il cherche le changement, les nouveautés. Les éditions limitées en sont un exemple très révélateur. Très fort support d'image de marque, elles créent la demande, la rupture de stock et encore plus d'envie. Elles fleurissent à chaque moment promotionnel de l'année donnant lieu à des customisations de packaging, des mises en scène spécifiques avec chemises spéciales ou encore des textures parfumées en liaison avec la saison (floraison des cerisiers…)
Le consommateur français a développé une véritable expertise de consommation. Qu'en est-il au Japon ?
F.B.B. : Le consommateur japonais reçoit énormément d'informations ; par la télévision bien sûr mais également via des écrans dans les rames de métro, des articles dans la presse, la téléphonie mobile et surtout et encore, via Internet où les forums de consommateurs confortent leur opinion par rapport aux produits. Du fait de la structure même de la société, l'acte d'achat est souvent motivé par un consensus d'avis et d'envies plus que par l'envie d'avoir un produit de niche et différent.
Comment suscite-t-on l'intérêt du consommateur ?
F.B.B. : La réassurance d'avoir le produit dont on parle, le produit apprécié par la majorité est très moteur dans son acte d'achat. Sur le point de vente, le kit d'essai ou promotionnel, l'échantillonnage (très souvent homothétique) permet un achat moins conséquent et de revenir vers la marque si l'on est satisfait. Au Japon, c'est le produit qui va vers le consommateur et non le contraire. Dans les drugstores, lieu d'achat très vivant et privilégié des jeunes femmes actives, il n'y a pas de porte à pousser, les produits sont très souvent en panier jusque sur le trottoir. Les nouveautés portent souvent des petits stickers ou flyers brillants qui les mettent en avant en linéaire. Les testeurs sont très nombreux et l'on peut donc très facilement toucher, sentir et essayer le produit avant l'achat. Sur les points de vente plus sélectifs, l'échantillon et les brochures sont très présents et donnés facilement après interrogation de la consommatrice sur ses besoins.
En matière de packaging, existe-t-il des particularités ?
F.B.B. : Beaucoup de point de vente sont en libre service et donc toujours dans l'idée d'un packaging au service du consommateur, sa transparence lui donne l'assurance d'acheter le produit souhaité. Enfin dans un souci de service mais également de fidélisation de la cliente, les produits sont très souvent déclinés en petit format transportable partout.
Quelle est selon vous la différence la plus marquante entre nos modes de communication des marques ?
F.B.B. : Les Japonais sont plus innovants car ils communiquent sur des marques ayant chacune un esprit différent et non sur une identité de société mono marque. L'éthique de la société mère ne transparaît pas au premier abord à travers les communications de marques et tous les supports peuvent être utilisés en fonction du positionnement de leurs très nombreuses marques.
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