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Revue des Marques - numéro 56 - Octobre 2006
 

Une gageure!

Le droit français et communautaire reconnaissent la validité d'une marque tridimentionnelle. Cependant, l'admission du conditionnement d'un produit à titre de marque reste une gageure, comme en témoigne la jurisprudence. Dépôt de marque tridimentionnelle ?

Propos recueillis par Jean-Cristophe GRALL & Emmanuelle LAUR-POUEDRAS*.


Une gageure!
À quoi cela tient-il ? Sans doute à une volonté de préserver les frontières existant entre marques, dessins et modèles, droits d'auteur et brevets, ainsi qu'au particularisme des marques tridimensionnelles qui sont perçues par le public à la fois comme un produit et un signe distinctif. Or, ainsi que cela a été clairement indiqué par la Cour de justice des Communautés européennes à la suite d'une question préjudicielle, “une marque tridimensionnelle doit permettre au consommateur moyen, sans procéder à une analyse ou à une comparaison et sans faire preuve d'une attention particulière, de distinguer le produit concerné de ceux d'autres entreprises” ! Cela peut se révéler complexe face à une marque tridimensionnelle dans la mesure où “les consommateurs moyens n'ont pas pour habitude de présumer l'origine des produits en se basant sur la forme de leur emballage, en l'absence de tout élément graphique ou textuel, et il pourrait donc s'avérer plus difficile d'établir le caractère distinctif s'agissant d'une telle marque tridimensionnelle que s'agissant d'une marque verbale ou figurative” (2).
De surcroît, outre les exigences propres à toutes les marques (tenant à la nécessité qu'un signe soit distinctif tant par rapport aux produits ou services désignés dans le dépôt de la marque, que par rapport à la perception qu'a le public du signe en question), il existe des exigences propres aux marques tridimensionnelles : la forme dont l'enregistrement est sollicité à titre de marque ne doit pas être exclusivement la forme imposée par la nature ou la fonction du produit ou qui confère à ce produit sa valeur substantielle(3). Dans ce contexte, obtenir l'enregistrement du conditionnement d'un produit relève de la gageure et donne lieu à de nombreux contentieux parmi lesquels nous avons retenu les suivants, ayant donné lieu à des décisions parfois peu satisfaisantes :

Une gageure!
Conditionnement de produits de charcuterie

Une société de salaison a déposé à titre de marque tridimensionnelle un emballage de ses produits constituant dans la présentation de tranches de saucisson sur une planchette en bois.(4) La société ayant fabriqué ces emballages à la suite de la commande passée par la société de salaison a demandé l'annulation de cette marque au motif, notamment, que “la disposition de banales rondelles de saucisson sur un simple plateau en bois, lisse, dépourvu de tout ornement, et dont la couleur est pratiquement similaire à la couleur naturelle du matériau qui le constitue, était évidemment dépourvue de caractère distinctif.” La Cour a toutefois estimé que “la forme du conditionnement en cause n'est pas imposée par la nature ou la fonction des produits de charcuterie et des salaisons prétranchés qu'il a pour fonction d'emballer.
En effet, la présentation des produits susvisés (…) n'est ni usuelle, ni nécessaire ; étant observé que ces derniers pourraient parfaitement être présentés dans des emballages ne recourrant nullement au matériau en cause et que les produits prétranchés sont généralement proposés à la clientèle des grandes surfaces dans des barquettes de plastique operculées. (…) Il n'est d'autre part aucunement prétendu que le conditionnement incriminé serait de nature à conférer aux produits alimentaires de la société Jouvin Frères leur valeur substantielle.” La Cour a donc admis le caractère distinctif de la marque tridimensionnelle déposée et a infirmé le jugement qui avait prononcé l'annulation de la marque ! Une telle décision peut apparaître quelque peu critiquable : en effet, la présentation en cause de produits de salaison, soit sur une planchette en bois, est-elle véritablement arbitraire et la forme enregistrée n'est-elle pas dictée par la fonction du conditionnement, à savoir servir de support d'emballage pour la vente et de plateau pour la consommation ? En outre, dans quelle mesure la forme enregistrée à titre de marque n'est-elle pas un concept ou un genre d'emballage qui serait ainsi monopolisé par un seul opérateur économique ? Si l'on peut se réjouir pour le titulaire de la marque de la décision de la Cour, il semble qu'elle s'est éloignée de la fonction première de la marque, soit éviter toute confusion entre les produits désignés sous cette marque et ceux de ses concurrents, pour de fait conférer un monopole d'exploitation d'un type d'emballage.

Une gageure!
Bouteilles de vin

Une société titulaire d'une marque tridimensionnelle constituée par une bouteille de vin a agi en contrefaçon de sa marque du fait de la fabrication et la commercialisation de bouteilles présentant avec la sienne des ressemblances telles qu'un consommateur moyennement attentif et avisé serait facilement induit en erreur et pourrait les confondre(5). La validité de la marque a été confirmée par la Cour dans les termes suivants : “la forme de la bouteille OTT, mise au point en 1930 et inchangée depuis lors, constituée d'un corps ovoïde, reposant sur une base renflée avec un débord rond en bourrelet, et présentant un goulot allongé et évasé vers le haut au col lisse, goulot comportant lui-même deux bagues en renflement, l'une à la base du goulot, l'autre dans sa partie haute, est distinctive en ce qu'elle permet de différencier ce contenant d'autres contenants qui logent des vins seraient-ils issus de la même région ; que cette configuration particulière et arbitraire de la bouteille OTT est destinée à identifier le produit vendu et à le différencier d'autres voisins ; que le caractère distinctif de la marque est avéré.” Les particularités de la bouteille de vin, particularités non retrouvées dans les conditionnements des autres vins rosés de Provence, ont donné à ce conditionnement son caractère distinctif.
“Seule une marque qui, de manière significative, diverge de la norme ou des habitudes du secteur et, de ce fait, est susceptible de remplir sa fonction essentielle d'origine n'est pas dépourvue de caractère distinctif.”

Conditionnement de jus de fruits

Une société a présenté une demande d'enregistrement de huit marques tridimensionnelles communautaires correspondant aux formes de différents sachets pouvant tenir debout, pour des boissons de fruits et jus de fruits(6). L'enregistrement de ces marques a été refusé au motif que “les consommateurs ne reconnaîtraient dans les sachets tenant debout aucune indication d'origine commerciale, mais uniquement une forme de conditionnement” et que “ce type d'emballage ne pouvait faire l'objet d'un monopole dans l'intérêt des concurrents, des fabricants d'emballages et des producteurs de boissons.”
La Cour confirme le refus d'enregistrement de ces marques tridimensionnelles, en considérant notamment que “seule une marque qui, de manière significative, diverge de la norme ou des habitudes du secteur et, de ce fait, est susceptible de remplir sa fonction essentielle d'origine n'est pas dépourvue de caractère distinctif”, ce qui ne serait pas le cas dans le secteur des boissons concerné en l'espèce, cette forme d'emballage étant d'ores et déjà communément utilisée.

Une gageure!
Bouteilles de limonade

Une société a sollicité l'enregistrement communautaire, pour une limonade, d'une marque constituée par la forme tridimensionnelle particulière de la bouteille ainsi que par le passage de la partie centrale lisse et transparente aux parties supérieure et inférieure grenées de la bouteille(7). Le Tribunal confirme le refus d'enregistrement d'une telle marque, au motif notamment que “le conditionnement d'un produit liquide étant un impératif de commercialisation, le consommateur lui attribue en premier lieu une simple fonction de conditionnement” et que “le conditionnement ne pourra apparaître comme distinctif que s'il permet au consommateur de distinguer le produit concerné de ceux des autres entreprises”. Or, en l'espèce, la bouteille en verre transparent était de forme courante pour le conditionnement de limonade, ses parties grenées n'étaient perceptibles que de près et apparaissaient comme étant dues davantage à une finition esthétique ou décorative qu'à une indication de l'origine commerciale de la limonade.

En conclusion, sauf à ce qu'un conditionnement présente des particularités véritablement distinctives au regard du marché dans lequel le produit ainsi conditionné s'inscrit, et que le consommateur en regardant ce conditionnement puisse faire le lien avec la société qui le commercialise, un conditionnement ne devrait pas pouvoir être enregistré à titre de marque !

Notes

(*) MG Avocats - Meffre & Grall
(2) CJCE, 6ème ch., 12 février 2004, Henkel KGaA/Deutsches Patent und Markenamt (décision relative à une bouteille pour des lessives liquides pour lainages).
(3) Article L.711-2 c) du CPI.
(4) CA Amiens, 1ère ch., 1ère section, 27 octobre 2005, SA Jouvin Frères/Lacroix Emballages. (3) Article L.711-2 c) du CPI.
(5) CA Aix en Provence, 2ème ch., 30 mars 2006, Domaines OTT/B.Distribution, Chevallier Bouteilles, Société d'exploitation des établissements Damiano, Saint Gobain Vetri.
(6) CJCE, 1ère ch., 12 janvier 2006, Deutsches Sisi-Werke GmbH & Co. Betriebs KG/OHMI.
(7) TPICE, 2ème ch., 30 novembre 2005, Almdudler-Limonade A & S Klein/OHMI.

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