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Revue des Marques - numéro 55 - Juillet 2006
 

Les consommateurs, ambassadeurs de la marque

La reconquête des marques passe par les chemins de l'économie interactive et participative. Cessons de faire des produits pour les clients. Faisons les avec eux.

Entretien avec Jean-Noël Kapferer, Professeur à HEC. Propos recueillis par Jean WATIN-AUGOUARD.


Les consommateurs, ambassadeurs de la  marque

Comment justifier la “prime” de marque, créer de la préférence et susciter du “vouloir” d'achat, particulièrement dans l'univers des produits PGC où la concurrence (Loi Dutreil oblige) fait rage entre marques de fabricants, MDD et premier prix ?

JN Kapferer : On ne se bat pas de la même façon selon que l'on doit affronter des concurrents 10, 30 ou 50 % moins chers que soi en particulier dans les domaines d'implication faibles comme le sont de nombreux secteurs alimentaires et d'entretien. Néanmoins, il n'y a pas de produits “banals”, il n'y a qu'une absence de travail approfondi pour exploiter ou révéler des ressorts d'implication latents du consommateur. Le modèle de travail de fond est Candia. Certes l'essentiel des ventes de lait en France se fait en produit premier prix ou en marque de distributeur. Mais Candia a su segmenter les besoins de santé (la seule vraie raison de boire du lait), identifier des cibles correspondantes et lancer les produits répondant aux attentes. Ce sont souvent des niches, mais aussi des produits de masse comme Viva et surtout Grand Lait (des fermes sélectionnées). Ce dernier parvient à être plus cher que le concurrent le plus direct le lait de Montagne de Carrefour. Pour pouvoir prendre des parts au segment de bas prix, il faut soit changer de modèle économique (Cristaline), soit décrédibiliser l'offre bas prix par l'image et la qualité expérientielle unique du produit (Nutella, Nike).

Le low cost et les marques de distributeur vont sonner le glas d'un monde assez artificiel, de fausses concurrences factices, de produits me too, pour laisser place à une vraie segmentation du marché avec en haut les vraies grandes marques, celles qui resteront.

Le low cost est-il un épiphénomène ou une tendance de fond ? A quelles catégories de marque est-il destiné ?

JN Kapferer : Le low cost est une tendance de fond car il est a été rendu possible par des modèles économiques efficients qui ont révélé les inefficiences des autres modèles. Néanmoins, pour qu'un modèle s'impose il faut toujours la convergence de trois facteurs : une offre structurée, qui intéresse la distribution et aussi les consommateurs. Nous sommes dans des marchés matures : le coût marginal de l'innovation est élevé car nous sommes à des niveaux de performance déjà très hauts. Chaque incrément de qualité perçue coûte cher. Un nouvel entrant peut donc proposer un produit à 50 % moins cher qui n'est pas perçu comme mauvais, car de fait il ne l'est pas. Les consommateurs, on le sait, cherchent à faire des économies pour vivre mieux : or chaque jour le prix de l'essence, du gaz, des prélèvements sociaux, des services publics croissent. Il faut bien alors expérimenter et essayer des produits moins chers pour gagner du pouvoir d'achat non imposable et le ré-investir dans des produits impliquants. Là où il y a de l'image et du plaisir expérientiel il y a de l'implication : les soft drinks, les barres chocolatées, les shampooings, sans parler des parfums. Bic a bien essayé de lancer un parfum low cost : mais l'éternel féminin ne l'a même pas regardé.

La critique, cyclique, des marques, a-t-elle, aujourd'hui, perdu de sa virulence ?

JN Kapferer : Oui, si l'on parle de la critique institutionnelle, émanant des consuméristes. Mais le fait grave, comme le montre l'étude Méga Brands de TNS Sofres, est que le score de conviction de toutes les marques, même les plus grandes, s'est effondré en 2005. L'étude Brand d'Ogilvy montre que le phénomène touche même une marque géante comme Coca Cola. Il y a quelque chose de cassé. A mon sens, le low cost et les marques de distributeur vont sonner le glas d'un monde assez artificiel, de fausses concurrences factices, de produits me too, pour laisser place à une vraie segmentation du marché avec en haut les vraies grandes marques, celles qui resteront.

Pour pouvoir prendre des parts au segment de bas prix, il faut soit changer de modèle économique (Cristaline), soit décrédibiliser l'offre bas prix par l'image et la qualité expérientielle unique du produit (Nutella, Nike).

Quelles sont, selon-vous, aujourd'hui les marques cultes ? Existe-t-il des invariants pour le devenir ?

JN Kapferer : Comme l'a bien montré D. Holt, notre collègue d'Oxford, une marque devient culte lorsqu'elle se charge de valeurs correspondant à une crise de la société, ou d'une partie de la société. Il en est des marques comme des stars : James Dean est un acteur culte car il est arrivé à un moment clé, une rupture dans la jeunesse américaine. De ce point de vue Harley Davidson, Mini sont cultes, comme Vespa aussi. Qui dit culte dit religion : il faut donc à la marque culte une foi, des apôtres, des rituels, des codes, voire des lieux de rassemblement.

Une marque peut-elle puiser dans son histoire, sa culture et son patrimoine, certaines clés pour innover ?

JN Kapferer : Non seulement elle le peut mais elle le doit. La marque tire sa valeur de sa continuité et de sa cohérence. Ce faisant elle devient un repère clair et bien identifié. Il est toujours intéressant tout au long de la vie d'une marque de se rappeler ses fondamentaux. Chez Accor, on appelle cela “back to the future”. En effet, il y a tellement d'intervenants sur une marque que, au fil du temps, elle peut dériver tout en croissant. Mais à la fin cela produit une crise d'identité. Il est bon alors de re-découvrir ses origines, ses facteurs clés de succès, son “humus” pour reprendre une formule de L'Oréal. Cela permet de guider le futur. En effet ce qui freine l'innovation n'est pas le manque de créativité mais le fait de ne pas savoir ce que l'on cherche. L'identité retrouvée de la marque définit les axes de cette recherche. Le but n'est pas de produire des retro innovations à la “new Beetle” ou Converse, mais de savoir quel est notre vrai territoire de valeur et d'innover dans ce cadre.

Le but des marques demain ne sera plus de créer des clients qui ré-achètent, mais des clients qui soient tellement fans de la marque qu'ils en seront les moteurs de la croissance organique via leur propre bouche à oreille.

Bon nombre de marques promeuvent aujourd'hui leurs nouveaux produits par le biais de sites événementiels éphémères. L'ère de la communication de masse, uniforme, est-il révolu ?

JN Kapferer : J'ai été formé par Procter et Gamble à une époque du tout TV : la doctrine était “on ne change pas un film tant qu'il est bon”. Désormais le changement systématique est une des clés pour maintenir une image dynamique, dans le temps de la marque. Comme disait Mc Luhan, le medium est le message. Si les jeunes passent plus de temps sur leur PC ou mobile que devant la télévision, l'orientation client veut que l'on considère ce média à son importance réelle, ce qui n'est pas le cas actuellement. Or il jouit de deux avantages déterminants : il atteint des cibles très fractionnées, via leurs centres d'intérêts et les communautés qu'elles suscitent ; il permet le feedback immédiat, donc l'implication.

Quels sont les atouts et les limites du l'extension de marque ? Certaines marques n'en ont-elles pas abusé au risque de perdre leur “fond” de marque ?

JN Kapferer : L'extension de marque permet de déboucher par surprise dans des marchés où les concurrents ne vous attendent pas. I Tunes, dans la distribution de musique, tue le business model des maisons de disque, comme celui des distributeurs Fnac et Virgin. HP est sorti des imprimantes pour venir concurrencer Canon et Nikon dans celui des appareils de photo digitaux. L'extension vise à exploiter les points forts de la marque (son savoir faire et son image) pour capter une part de marché en forte croissance.

Le concept de cycle de vie s'adapte-t-il aux marques ? Comment assurer la pérennité de sa marque ?

JN Kapferer : On sait déjà que le problème du concept de cycle de vie d'un produit est qu'il explique bien après coup, mais qu'il est de peu d'utilité pour le management du produit. En effet tout fléchissement de la croissance d'un produit donné est-il le signe de la maturité de son cycle de vie ou d'un endormissement passager ? C'est encore pire pour la marque. La fonction de la marque est précisément d'échapper au cycle de vie (s'il existe) grâce au renouvellement permanent de ses produits et à l'extension de ceux-ci pour tirer parti des marchés en croissance. Cela ne veut pas dire que des marques ne vont pas décliner : mais ce n'est pas une fatalité inscrite dans un supposé cycle de vie. C'est souvent le résultat d'un management erroné.

Dix ans après votre livre “les marques, capital de l'entreprise ; les chemins de la reconquête”, quels sont, les “nouveaux chemins” de reconquête ?

JN Kapferer : La reconquête tient en une phrase : cessons de faire pour les consommateurs, faisons avec eux. Nous rentrons dans l'économie du choix, l'économie interactive, participative. Les marchés sont re-devenus de vraies conversations. Le but des marques demain ne sera plus de créer des clients qui ré-achètent, mais des clients qui soient tellement fans de la marque qu'ils en seront les moteurs de la croissance organique via leur propre bouche à oreille.

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