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Revue des Marques - numéro 54 - Avril 2006
 

Marques & Tic, quelle vitalité !

Instrument de l'offre de valeur sur des marchés, la marque est aussi instrument de la demande de valeurs dans la société. Les nouvelles technologies de la communication offrent aux marques autant d'opportunités que de risques.

Propos recueillis par Jean-Pierre BAUDOIN*.


Marques &Tic, quelle  vitalité !
La Chine est devenue en 2005 l'un des dix premiers pays d'origine de dépôts de marques à l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle. Une suite logique, quatre ans après l'entrée de l'Empire du Milieu dans l'Organisation mondiale du commerce. La Chine est aussi devenue le pays le plus fréquemment désigné par les déposants à l'OMPI pour la protection de leurs marques. Détrônant ainsi… la Suisse. Voilà donc un immense réservoir d'entreprises et de produits qui entre dans le “système” des marques. Ce n'est que l'un des signes de la vitalité d'un mécanisme de création de valeur dont on entend périodiquement annoncer la fin. D'autres signes nous sont donnés presque par l'absurde. La distribution qui, à un moment, a voulu proposer aux consommateurs de libérer les produits de l'emprise des marques, propose aujourd'hui des marques - et non des produits - de distributeur. Là où l'argument était le produit à premier prix, on affiche aujourd'hui des “marques premier prix”. Le produit vaut-il sans marque ? Le prix, sans marque ? Les arguments de marché – une offre, une demande ; un produit, un prix – seraient-ils si radicalement insuffisants que la marque doive impérativement y apporter une contribution d'une autre nature ? Nos sociétés marquées par l'individualisme et désormais sous-tendues par les technologies de l'information et de la communication apportent un éclairage particulier à ces questions. Un éclairage dont les paradoxes ne sont peut-être qu'apparents.
Marque, comme noblesse, oblige. Elle engage la responsabilité juridique du producteur pour son client, mais aussi la responsabilité morale de l'entreprise pour la société.

Marques- consommateurs : la relation inversée

La marque reste un puissant moyen de pénétration et d'installation d'un produit sur un marché. Elle est, à ce titre, l'objet d'investissements économiques significatifs dont la rentabilité peut être constatée. La marque est, en outre, devenue l'un des principaux vecteurs de l'engagement de l'entreprise dans la société. Dans ce rôle, elle se trouve moralement investie de valeurs d'abord non économiques. Valeurs qui peuvent cependant former le socle d'une offre économique, comme on le voit avec les marques du commerce équitable.

Ce glissement de la valeur a conduit la marque à devenir aussi le vecteur d'intervention de la société dans l'entreprise. C'est par son intermédiaire que la société, et non plus le marché, interpelle le producteur sur son éthique, son engagement, ses valeurs, et non plus seulement le consommateur sur le produit, la qualité, le prix. Autre démonstration paradoxale de l'efficacité des marques : les voix critiques ne sont jamais aussi efficaces dans leur communication que lorsqu'elles ont elles-mêmes recours au mécanisme des marques. L'acronyme “ONG”, pour ne prendre que cet exemple générique, fonctionne aujourd'hui exactement comme une marque. Instrument de l'offre de valeur sur des marchés, la marque devient ainsi instrument de la demande de valeurs dans la société. Du signe des garanties offertes par le producteur au consommateur, elle devient le signe de l'entreprise qui s'oblige à répondre aux exigences du citoyen autant que du consommateur. Marque, comme noblesse, oblige. Elle engage la responsabilité juridique du producteur pour son client, mais aussi la responsabilité morale de l'entreprise pour la société.

Dans cette relation nouvelle entre entreprise et société par l'interface de la marque, le rôle normatif change de main. Traditionnellement expression d'un univers où le consommateur est invité en adoptant ses normes, la marque est devenue le moyen par lequel l'entreprise montre à la société sa capacité à comprendre les normes de ceux qu'elle veut convaincre - et non seulement séduire - et à les respecter. Sous le regard de ceux qui, devenant ses clients, formeront son marché, mais aussi sous celui d'acteurs qui, dans la société, jugeront de la légitimité du comportement de l'entreprise avant la qualité de son offre. La marque “plastique” à l'exigence de la société l'emporte ainsi sur la marque normative de la vie du consommateur. Mais c'est bien une logique de marque, et elle seule, qui permet cette interface entreprise-marché-société : elle est le mode de la relation entre les acteurs. C'est une des raisons de la vitalité de ce système que sa faculté d'adaptation jusqu'ici inégalée.

La disponibilité sans précédent de moyens d'expression des exigences individuelles fournis par les technologies de la communication pose à l'évidence aux marques des défis également sans précédent. L'aspect le plus nouveau de ces défis est probablement la nécessité, dans le raisonnement d'une logique de marque, de prendre en compte désormais les phénomènes d'opinion au même titre que les phénomènes de marché. Mais simultanément, les technologies de l'information et de la communication offrent aux entreprises des moyens efficaces pour déchiffrer l'opinion. Au service, entre autres, de la “plasticité” de leurs marques.

L'irruption du tiers

Chacun est susceptible d'avoir un avis sur tout. Chacun est en outre, aujourd'hui, en mesure de le faire savoir. La capacité d'irruption de tiers dans le fonctionnement des entreprises est permanente et quasi universelle. Le dialogue singulier de la marque avec son client est, ainsi, exposé au jugement d'une variété de tiers. La logique marque-produit-marché-client se trouve de ce fait étendue, en amont à l'entreprise responsable de la marque et du produit, en aval à l'opinion qui s'érige en gardienne de l'intérêt général, en dehors de toute considération de marché, sur des critères de société.

e tiers qui s'invite dans la relation de la marque avec son marché est éthique et militant. Il exerce sa vigilance à la fois sur la qualité de l'offre d'une marque du point de vue de la santé, de la sécurité, de l'environnement et du prix, et sur le comportement de l'entreprise, son respect de valeurs considérées par lui comme essentielles. Il bénéficie, pour faire connaître son jugement, de la puissance combinée des marques elles-mêmes et des technologies. Critiquer une marque forte, c'est mettre au service de son jugement la puissance de la marque, sa capacité de mobilisation de l'attention des médias et du public. C'est, aussi, une assurance de mobiliser l'attention du management de l'entreprise, la valeur de la marque étant aujourd'hui une des principales composantes de la valeur de l'entreprise : la valeur des actifs immatériels, et de celui-là en particulier, dépasse de plus en plus souvent celle des actifs matériels au bilan des entreprises. La mise en cause de cette valeur, pour quelque raison que ce soit, ne saurait laisser le management indifférent. Or, les technologies ont rendu l'accès à cette valeur de plus en plus ouvert. En direct à travers les sites Internet des entreprises et des marques, indirectement à travers la référence, sur les sites ou les blogs des acteurs de l'opinion, à des noms de marque qui améliorent leur référencement sur les moteurs de recherche. Ce constat, rappel à la nécessaire attention du management à la protection de ses marques, montre aussi l'affinité naturelle entre marques et technologies de l'information et de la communication.

Critiquer une marque forte, c'est mettre au service de son jugement la puissance de la marque, sa capacité de mobilisation de l'attention des médias et du public.

L'affinité naturelle des marques et des TIC

Une marque est, avant tout, un système de valeurs. Une société est, avant tout, une communauté de valeurs. Le fait que cette communauté - ou ces diverses communautés - de valeurs qu'est la société, trouve dans les technologies de la communication de nouveaux moyens d'expression ouvre aux marques autant d'opportunités qu'il peut comporter de risques. De même que l'Internet expose les marques au regard permanent de la société, il expose la société au regard des entreprises. Jamais les marques n'avaient disposé d'autant d'accès à la compréhension de la société, à la saisie des signaux faibles qui révèlent la genèse d'un mouvement d'opinion, d'une évolution des valeurs qui peut devenir une “tendance”, qui peut orienter un marché. Jamais, non plus, les marques n'avaient disposé de moyens aussi souples de créer de la proximité. Paradoxe apparent de ce monde virtuel : la relation trouve, dans sa fausse dématérialisation, les instruments de la personnalisation au gré de chacun.

Fausse dématérialisation, car les technologies mettent dans la main, à l'échelle de l'individu, l'objet qui permet la disponibilité continue, dans le temps et l'espace, d'une présence choisie. En somme, d'une proximité physique, intime, sinon complice. Le comportement de l'internaute renseigne, enfin, sur des modalités de pratiques sociales que les marques ne peuvent ignorer. L'internaute “surfe”, certes. Mais il se construit des parcours qui, à certaines conditions, deviennent les lieux habituels de son monde. L'internaute est fidèle à son impatience. Il devient fidèle à la fréquentation d'une source s'il y trouve un renouvellement permanent de l'offre dans une cohérence à un système de valeurs : le sien. Voilà qui ressemble à la fréquentation des marques : une offre constamment innovante dans la fidélité aux valeurs d'un monde. La capacité à se reconnaître dans l'étonnement toujours renouvelé d'expressions vivantes d'un même monde, partagé et changeant. L'Internet, comme les marques, offre à chacun la possibilité de se construire un monde à la fois cohérent et “plastique”. Ou, en tout cas, doit l'offrir pour gagner la fidélité des habitants d'un monde. Les marques ont peut-être une patrie. Mais leur vitalité dépend avant tout de leur participation à la construction de mondes.


Notes

(*) Directeur général du Groupe i&e. Professeur associé au Celsa - Paris IV Sorbonne ; Administrateur de Syntec Conseil en Relations Publiques ; Dernier ouvrage paru : L'opinion, c'est combien ? Pour une économie de l'opinion, Ed. Village Mondial, 2005.

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