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Revue des Marques - numéro 50 - Avril 2005
 

De l'image de la marque à l'image de marque

De l'image de la marque à l'image de marque

Le concept d'image de marque détaché de la marque elle-même et de l'entreprise qui en est titulaire est appelé à un avenir prometteur. Par Jean-Cristophe GRALL ET Marianne LABORDE

L'événement ou l'événementiel sont des termes aux significations ambivalentes en ce qu'ils peuvent désigner, de façon lénifiante, des tragédies de l'histoire humaine, ou un grand bonheur, ou encore et surtout un très beau spectacle comme le sont notamment, les "événements sportifs". Si, en droit, la marque événementielle n'est aucunement un concept juridique, les marques déposées, notamment pour la protection des événements sportifs dont certains ont une diffusion et une notoriété mondiales, créent quant à elles l'événement sur le plan judiciaire en ce que leur notoriété les expose à de nombreuses atteintes par des opérateurs économiques qui entendent ainsi indûment profiter de la notoriété de ces dernières et de l'image qu'elles véhiculent.

Marque notoire

Il en est ainsi non seulement pour les marques désignant les grands événements sportifs, mais encore, de façon générale, pour toutes les marques notoirement connues, notamment dans l'industrie de la mode et du luxe. Il n'est donc pas étonnant que ce soit à l'occasion de litiges concernant de telles marques, que des concepts juridiques aient été lentement élaborés, en vue de protéger de telles marques et les investissements de tous ordres, notamment publicitaires, exposés par leurs titulaires pour leur promotion. C'est ainsi que, dans un premier temps, la nécessité de conférer à des marques dites "notoires" une protection renforcée, a été consacrée par la Convention Internationale de Paris du 20 mars 1883 "pour la protection de la propriété industrielle". Cette convention, à laquelle ont adhéré de très nombreux pays, dont notamment les pays de l'Union européenne et les Etats-Unis d'Amérique, dispose en son article 6 bis que :
"Les pays de l'Union s'engagent, soit d'office si la législation du pays le permet, soit à la requête de l'intéressé, à refuser ou à invalider l'enregistrement et à interdire l'usage d'une marque de fabrique ou de commerce que constitue la reproduction, l'imitation ou la traduction susceptible de créer une confusion, d'une marque que l'autorité compétente du pays de l'enregistrement ou de l'usage estimera y être notoirement connue comme étant déjà la marque d'une personne admise à bénéficier de la présente convention et utilisée pour des produits et services similaires. Il en sera de même lorsque la partie essentielle de la marque constitue la reproduction d'une telle marque notoirement connue ou une imitation susceptible de créer une confusion avec celle-ci." Il s'induit de ce texte, que la marque "notoirement connue" jouit, par dérogation au régime de la marque dont les droits s'acquièrent par l'enregistrement, d'une protection du seul fait de son usage. Si ce texte n'a pas donné de définition de la marque "notoirement connue" il est admis qu'une telle marque est celle qui est connue d'une "très large fraction du public". La directive communautaire du 21 décembre 1988 "rapprochant les législations des Etats-membres sur les marques" a également consacré la protection renforcée réservée aux marques notoires.
C'est ainsi que l'article 4-2 § d de cette directive dispose qu'une marque "est refusée à l'enregistrement ou est susceptible d'être déclarée nulle", si elle est enregistrée dès lors qu'elle porte atteinte à des marques antérieures, dont notamment, à celles qui sont "notoirement connues dans l'Etat-membre au sens de l'article 6 bis de la Convention Internationale de Paris". Mais la directive communautaire précitée du 21 décembre 1988 a confirmé également que la marque notoire, et celle dite "de renommée" devaient jouir d'une protection renforcée, non seulement au cas d'exploitation par des tiers d'une marque identique ou imitante pour désigner des produits et services identiques ou similaires, comme le disposait l'article 6 bis de la Convention Internationale de Paris, mais également pour des produits et services non similaires, soit donc en cas de leur exploitation parasitaire par des tiers. A cet égard, l'article 5 § 2 de cette directive a fait l'objet d'une transposition en droit français par la loi du 4 janvier 1991, actuellement codifiée par l'article L.713-5 du Code de la propriété intellectuelle.

Une marque "est refusée à l'enregistrement ou est susceptible d'être déclarée nulle", si elle est enregistrée dès lors qu'elle porte atteinte à des marques antérieures.

Le cas Olymprix

Et c'est précisément une marque notoirement connue pour un événement sportif, en l'espèce les jeux olympiques, qui a été soumise à l'épreuve du feu de l'interprétation par les juges français de l'article L.713 5 du Code de la propriété intellectuelle précité. Le litige opposait le Comité National Olympique et Sportif Français au groupement d'achat des centres Leclerc (Galec), lequel avait décidé d'intituler sa campagne promotionnelle annuelle "Olymprix" et avait, à cet égard, procédé au dépôt de ladite marque pour désigner notamment tous les produits de grande consommation qu'elle commercialise. De son côté, le CNOSF qui, de par la Charte olympique, est le gardien de la protection des emblèmes olympiques en France, ne pouvait voir reconnaître la notoriété de la marque d'usage "Olympique" que pour l'organisation de la manifestation sportive du même nom, de sorte que les produits et services revendiqués par la marque "Olymprix" du Galec n'avaient aucun lien de similarité avec la marque d'usage notoire "Olympique". C'est donc sur le fondement de l'article L.713-5 du Code de la propriété intellectuelle que le CNOSF avait assigné le Galec afin de voir juger que le dépôt et l'usage par ce dernier de la marque "Olymprix" constituaient une exploitation manifestement injustifiée de la notoriété de sa marque d'usage"Olympique". C'est à l'occasion de cette affaire que la Cour de cassation [arrêt du 29 juin 1999] a jugé que l'emploi d'une marque au sens de l'article L.713-5 devait s'entendre d'un emploi à l'identique, et non de l'emploi d'un signe imitant, de sorte qu'après une très longue bataille judiciaire, le CNOSF a finalement eu gain de cause contre le Galec, non sur le fondement de l'article L.713-5 précité, mais sur celui de l'article 1382 du Code civil, fon-
dement légal classique de la responsabilité civile sanctionnant les agissements parasitaires. C'est ainsi que la Cour d'appel d'Orléans, statuant sur renvoi a, par arrêt du 2 juillet 2004, dit pour droit que : "En se plaçant délibérément dans le sillage de l'olympisme pour profiter astucieusement de l'image d'excellence du mouvement olympique en l'appliquant pour en tirer avantage et sans bourse délier, non plus à l'organisation de manifestations sportives, mais à des campagnes de prix réduits, opérations qui, faisant penser plus ou moins à des "braderies", contribuent à une dégradation de l'image des marques "Olympique" et "Jeux Olympiques"." Le Galec a porté atteinte à l'"image des marques Olympique et Jeux Olympique" et a été condamné de ce fait à verser un million d'euros au CNOSF.

Si le concept d'image de marque n'a pas reçu de consécration en droit positif français…, les juges français en ont sanctionné l'atteinte, notamment dans la célèbre affaire "Champagne", du fait de l'adoption par la maison Saint Laurent du terme "Champagne" pour désigner un parfum.

L'image de marque

De fait, cette notion d'atteinte à l'image n'est pas nouvelle tant en droit français qu'en droit communautaire. A cet égard Monsieur Hervé Maccioni dans un article intitulé "L'image de marque, émergence d'un concept juridique ?" signalait que si le concept d'image de marque n'a pas reçu de consécration en droit positif français, contrairement aux applications qui en avaient été faites aux Etats-Unis d'Amérique concernant l'image de marque des produits dans un arrêt John H. Aharland C° v. Clarke Cheks Inc, les juges français en avaient sanctionné l'atteinte, notamment dans l'affaire ayant opposé le couturier Christian Lacroix à la société Patou  et dans la célèbre affaire "Champagne", du fait de l'adoption par la maison Saint Laurent du terme "Champagne" pour désigner un parfum [CA Paris, 1ère Ch. A, 15 décembre 1993]. Monsieur Maccioni proposait ainsi de définir "l'image de marque" comme "un bien incorporel constitué par l'ensemble des représentations tendant à singulariser au yeux du public, la notoriété d'une marque – ou de tout autre élément pouvant avoir une valeur économique – et qui résulte de nombreux investissements (notamment publicitaires et marketing)." La jurisprudence communautaire a consacré pour sa part, outre le concept d'atteinte à l'image de la marque et des produits, celle d'atteinte à l'image véhiculée par la marque.

C'est ainsi que dans un arrêt rendu le 4 novembre 1997, dans une affaire Christian Dior c/ Evora la CJCE, saisie d'une question préjudicielle par la Cour de cassation des Pays-Bas, a notamment dit pour droit que "l'atteinte sérieuse à la renommée de la marque" constituait un motif légitime permettant au titulaire de cette dernière de s'opposer à la commercialisation de ses produits par un revendeur parallèle, cette atteinte à la renommée de la marque faisant en l'espèce échec à la règle d'épuisement des droits sur la marque. Par la suite, la CJCE, dans un arrêt du 25 avril 2001 [affaire Hollywood], a défini le concept d'atteinte à l'image véhiculée par la marque. Le litige provenait du dépôt par la société Souza Cruss de la marque communautaire Hollywood pour désigner notamment des cigarettes et produits du tabac. La société française Hollywood, titulaire de la marque française Hollywood pour désigner notamment les célèbres chewing-gums du même nom, a fait opposition à l'enregistrement de cette marque, au motif que sa marque a acquis une renommée en France et que par suite de campagnes publicitaires importantes, cette marque est venue à évoquer pour les consommateurs une image de dynamisme, de jeunesse, de santé et de vitalité, de sorte que le dépôt contesté pour designer des produits du tabac, qui par nature nuisent à la santé, porterait préjudice à l'image et à la renommée de sa marque.

La CJCE, saisie d'un recours, après avoir rappelé que les produits du tabac ne pouvaient être considérés comme similaires aux chewing-gums, s'est donc interrogée sur l'existence au cas d'espèce, non de la renommée de la marque Hollywood pour des chewing-gums qui n'est pas contestée, mais de la renommée et de l'image propre véhiculées par cette marque.
Rappelant la jurisprudence Dior c/ Evora, la CJCE a réaffirmé que la fonction de la marque "en sus d'être un indicateur d'origine, peut fonctionner aussi comme vecteur d'un message qui lui est associé et qui doit être protégé avec elle.", se fondant sur un certain nombre de pièces produites par Hollywood, dont notamment une analyse effectuée par l'agence EURO RSCG et les investissements publicitaires de Hollywood, ainsi que sur l'article consacré par la "Revue des Marques", dont la CJCE indique qu'elle constitue une source indépendante et qualifiée.

Comme le rappelle l'arrêt Hollywood, le concept "d'image de marque" permet de protéger, au-delà de la fonction publicitaire de la marque et de l'image qu'elle véhicule, un "prestige acquis".

Marque et réputation

Mais c'est encore à l'occasion d'un récent litige dans le monde sportif que la jurisprudence française a fait une application particulièrement extensive du concept d'image de marque détaché de la marque elle-même et de l'entreprise qui en est titulaire. Le litige naissait du refus de l'employeur d'un cycliste d'inscrire ce dernier à l'épreuve du Tour de France 2004, dès lors que la société Tour de France avait fait savoir par voie de communiqué qu'elle n'accepterait pas la participation "de tout coureur impliqué dans une procédure judiciaire ou mis en cause dans une enquête policière", se fondant pour ce faire, sur l'article 29 du Règlement de cette épreuve qui prévoit l'exclusion "dans l'hypothèse ou l'image et la réputation de l'épreuve seraient susceptibles d'être affectées du fait de l'un des membres d'un groupe sportif". En l'espèce, le coureur ayant fait l'objet d'une mise en examen dans le cadre d'une enquête judiciaire pour des faits de dopage, invoquait la violation de la présomption d'innocence.
Dans un arrêt du 1er juillet 2004, la Cour de Douai a débouté ce dernier de sa demande tendant à ce qu'il soit fait injonction à son employeur et à la société Tour de France de l'inscrire à cette épreuve, rappelant l'article 29 du règlement précité et estimant dès lors que "l'image et la réputation de l'épreuve peuvent être ternies par la seule suspicion de participation d'un coureur à des faits de dopage", de sorte que en "souscrivant à l'opposition des organisateurs cet événement sportif", l'employeur du coureur cycliste "loin de porter atteinte à la présomption d'innocence dont bénéficiait ce dernier, n'a fait qu'utiliser ses prorogatives pour mettre son équipe à l'abri d'un risque d'exclusion et lui assurer la nécessaire sérénité". Dans un article, paru dans le journal "Les Echos" du 4 février 2005 sous le titre "La "personnification" de l'événement sportif", Madame le Professeur Marie-Chantal Boutard-Labarde voit dans cet arrêt l'expression de "l'émergence dans notre ordre juridique d'une nouvelle entité, un nouveau sujet de droit, protégeant sa réputation et son image (indépendamment de celles de son organisateur ou des équipes participantes)".

Comme le rappelle l'arrêt Hollywood précité, le concept "d'image de marque" permet de protéger, au-delà de la fonction publicitaire de la marque et de l'image qu'elle véhicule, un "prestige acquis".

Le Concept "d'image de marque" semble sortir, ce faisant, de son terrain d'élection, la répression de l'exploitation parasitaire de la renommée d'une marque, pour devenir objet d'un droit de propriété intellectuelle lequel, pour être innomé, est peut-être voué à un avenir prometteur.

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